Je vous propose une série de recommandations de lecture jeunesse fiables et passionnées réalisées par des pros en devenir. Ces exercices de médiation littéraire méritaient d’être partagés au-delà du bac à recyclage – où atterrissent, c’est bien connu, même les meilleurs travaux universitaires. J’en ai retenu une quinzaine, parmi quelques 200 productions du cours SCI6339 à l’EBSI, après les albums, voici une sélection de quatre albums. Des mangas, des romans et des documentaires suivront dans les prochains jours. Remplissez votre panier, papier ou numérique, c’est #àlire!
Quatre bandes dessinées
Falardeau, M. (2017). L’esprit du camp. Tome 1. Montréal. Lounak. Public Ado/adulte (Bibliothèque publique).
L’été d’Élodie est ruiné avant même qu’il n’ait commencé: sa mère l’oblige à travailler comme animatrice dans un camps de vacances. Adieu les poutines de fin de soirée avec sa meilleure amie en écoutant Kurt Cobain hurler son désespoir, bonjour les collègues insupportables et les kids énervants. Mais ce camp lui réserve plusieurs surprises: un directeur plutôt bizarre, une chanson de camp inspiré de la musique métal, mais aussi une tribu de petite filles rousses particulièrement attachantes et une collègue étonnamment sympathique. Mais surtout, une légende d’esprits maléfiques et une étrange lueur bleue dans dans la montagne.
La revue les Libraires s’adresse autant aux professionnels du livres – libraires, bibliothécaires, critiques… – qu’aux lecteurs curieux. Créée en 1998, elle est produite par la Coopérative des librairies indépendantes du Québec. Sa mission : “ faire la promotion de ce qui démarque les librairies indépendantes des grandes chaînes, c’est-à-dire la diversité du choix de livres, la proximité de ses commerces et le service-conseil avisé des libraires qui y travaillent.” (Revue les Libraires, 2018) Et quel bonheur, elle est distribuée gratuitement dans les librairies, les bibliothèques, et même dans certains cafés et lieux culturels, en plus d’être téléchargeable en format pdf à partir de son site web. De plus, les contenus sont aussi disponibles en format web sur son site, où l’on peut naviguer selon le type de contenu. Ceux-ci se présentent sous la forme d’actualités, de coups de cœurs, d’entrevues, d’articles de fond ou de chroniques, de dossiers thématiques.
Analyse. Adolescente marginale, Élodie porte l’uniforme “grunge” des années ‘90: jeans troués, chemise à carreaux. Elle est étudiante, et c’est sa mère qui insiste pour qu’elle travaille au camp. Plutôt exclue par les autres animateurs, elle finira par créer un lien avec l’une d’entre eux, Catherine. Assez cynique, elle appelle sa mère pour la convaincre de venir la chercher, mais fini par tenter de s’adapter: elle collabore avec Catherine, et gagne de l’ascendant sur ses campeuses avec de la musique métal. Les situations dans lesquelles elle se retrouve sont classiques des camps de vacances. Comme tous les personnages de cette bande dessinée, elle parle un québécois du registre familier.
Le récit aborde principalement les défis de l’adolescence: les relations avec les pairs, la prise de responsabilité, l’intégration. Le côté fantastique du récit est encore peu présent dans ce premier tome. L’humour, très senti, prend différentes formes: le dessin légèrement caricatural; les références culturelles, souvent décalées, ou encore des personnages exagérés.
Au départ, Élodie avait prévu un été comme les autres: à la maison, avec sa meilleure amie, à écouter de la musique et manger de la poutine. Mais tout bascule parce que sa mère l’oblige à travailler dans un camp de vacances. Elle tente d’abord de négocier un retour chez elle, mais fini par devoir s’adapter, et commence à se lier d’amitié avec une autre animatrice et à trouver son propre “style” d’animation pour contrôler sa “tribu” de petites filles. Facile à identifier grâce aux dates des entrées de journal intime d’Élodie, la temporalité s’échelonne sur douze jours, dans le décor du camp de vacances; beaucoup de forêt, de lac et de dortoir.
Le commentaire prend la forme des entrées de journal intime d’Élodie. C’est donc un mélange entre un résumé de ce qui se passe dans le récit et des impressions et états d’esprit de l’héroïne. Les dialogues, dans un registre (très) familier, utilisent beaucoup de vocabulaire québécois, au point où un lexique est fourni en début de chaque chapitre.
D’une case à l’autre, les plans sont variés et bien utilisés. Sauf pour certaines planches, où le dessinateur a enchaîné les angles et les cadrage identiques pour illustrer une répétition de la situation. À l’occasion, il a aussi fait sauter toute gouttière, afin de créer une continuité. Dans le cas d’une planche, il a utilisé ces deux procédés conjointement pour illustrer l’un des nouveaux moments de complicité entre le personnage principal et sa nouvelle amie. Utilisée de manière descriptive (des arbres verts, des ciels bleus, etc..), la couleur devient plus inintéressante lors qu’utilisée dans des scènes de mi-jour ou de soir: dans les scènes qui se situent au lever ou au coucher de soleil, les couleurs dé-saturées sont très efficaces.
De format inusité, entre le comic book américain et la bande dessinée franco-belge, et imprimé sur du papier glacé de qualité, cette bande dessinée québécoise attire l’attention par une couverture originale qui représente bien les personnages principaux et la multitude de personnages secondaires qui les entoure. Rédigé par Isabelle Descarries.
Jousselin, P. (2017). Imbattable. 1, Justice et légumes frais. [Marcinelle] ; [Paris] : Dupuis. À partir de 9 ans. (Bibliothèque publique, prêt numérique)
Il s’agit ici d’une bande dessinée humoristique dans laquelle le super-héros sauve la veuve et l’orphelin face aux méchants; à première vue la formule est assez classique. La particularité de cette bande dessinée tient au fait que ce héros est littéralement imbattable, c’est son pouvoir. Ainsi il sauve la ville en entier tout en faisant ses courses quotidiennes. Il aide autant à déménager les gens qu’à combattre les méchants grâce à son pouvoir qui lui permet de sauter de case en case et de briser le quatrième mur de la bande dessinée. Le super-héros est donc conscient qu’il est dans une bande dessinée telle le comic book Deadpool.
Source. La source est Planet BD, une boutique spécialisée dans la bande dessinée à Montréal, ainsi qu’un blogue spécialisé dans la bande dessinée et tout ce qui est en lien avec le 9e art. Ce blogue est très complet, liant chroniques, entrevues : il est la principale référence en bande dessinée à Montréal. Selon la critique qui est faite de cette bande dessinée, le fait que le super-héros puisse connaître tout ce qui se passe dans les cases autant dans le futur que dans le passé est vraiment d’une simplicité désarmante et donne lieu à un humour très réussi. Le chroniqueur donne l’exemple du moment où Imbattable veut sauver un chat pris dans un arbre. Le héros décide d’allonger ses bras pour prendre le chat dans les cases suivantes afin de le récupérer. C’est très rafraîchissant comme style de bande dessinée qui, de plus, regorge de péripéties, d’alliés et de méchants dotés de pouvoirs similaires à ceux d’Imbattable, ce qui génère une expérience délirante. Selon Planet BD, la série Imbattable est un incontournable pour tous les fans de bandes dessinées car il redéfinit le genre en jeunesse.
Analyse. Imbattable est un homme bedonnant qui porte une cape, masqué à la façon de Zorro et qui arbore un I sur un chandail jaune. Il s’agit d’un super-héros hors du commun qui prend toutes les causes possibles autant les importantes comme sauver la terre d’un savant fou, que les plus inoffensives comme aider une vieille dame à ramener des sacs d’épicerie. Pour lui, toutes les missions ont la même importance, c’est ce qui est le plus inusité chez lui. Imbattable se dit le seul vrai super-héros de bande dessinée, car c’est ce qu’il est vraiment, il sauve sa bande dessinée. Son pouvoir est de sauver les gens dans sa bande dessinée. Il est donc conscient d’être dans une bande dessinée, ce qui brise les codes normatifs de la bande dessinée. Imbattable est un personnage avec un tempérament assez calme qui a toujours un plan, car il sait déjà tout ce qui va se passer à l’avance ou ce qui s’est déjà passé. À titre d’exemple, lorsque sa grand-mère lui demande s’il a été chercher du pain, il lance un avion de papier qui atterrit huit cases dans le passé pour lui dire de passer chercher du pain pour sa grand-mère. Ainsi, c’est ce qui rend le personnage aussi attachant et l’histoire aussi hilarante. L’histoire principale d’Imbattable est de combattre les méchants, mais en fait, le super-héros veut simplement rendre service et être gentil envers sa communauté. Cette bande dessinée permet de présenter des méchants et des gentils, des situations violentes mais de façon si ludique que cela ne peut être présenté comme de la violence, la plaisanterie est toujours le but initial et final de cette bande dessinée. Pour ce qui est de l’histoire, elle n’est pas linéaire, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un récit continu sur toutes les pages, chaque page a son histoire en soi. Ainsi, cela permet un rythme très rapide, sans que le lecteur risque de s’ennuyer. Lorsque vient le temps d’analyser cette bande dessinée, il est nécessaire de considérer que cette bande dessinée a été conceptualisée pour les journaux imprimés, avec de courtes histoires drôles et homogènes; ainsi, c’est parfaitement compréhensible de voir que l’image, la forme des bulles, le montage de vignettes, la présentation matérielle sont produits de façon relativement standard, mais que le contenu change à l’intérieur de ce format, car il était question d’obtenir une singularité. Après sa popularité dans les journaux, l’oeuvre a été mise en album et Pascal Jousselin a décidé de garder sa forme d’origine. Je conseille fortement à tous les bibliothécaires d’acheter cette collection de bandes dessinées, car il s’agit véritablement d’un document hors du commun, son aspect ludique, son humour, sa légèreté, le fait qu’il traverse le quatrième mur et passe de case en case est fort inhabituel et plaira certainement au public jeunesse. Rédigé par Jonathan Hill
Arsenault, I. (2017). L’oiseau de Colette. Montréal, Québec : Les Éditions de la Pastèque. À partir de 6 ans. (Bibliothèque publique)
Cette bande dessinée pour les jeunes de 6 à 9 ans raconte l’histoire de Colette, une jeune fille débordante d’imagination qui vient d’aménager dans sa nouvelle maison du quartier le Mile-End à Montréal. Colette aimerait beaucoup avoir un animal de compagnie, mais ses parents ne veulent pas… En explorant sa ruelle, elle se fait de nouveaux amis(es) et ensemble ils partent tous à la recherche de l’oiseau perdu de Colette, une magnifique et mystérieuse perruche bleue. Est-ce que la bande du Mile-End retrouvera la perruche de Colette? C’est ce que tu découvriras dans cette bande dessinée colorée et amusante!
Source. Cette bande dessinée fait partie des suggestions de Livres Ouverts pour les jeunes du primaire de la 1re à la 4e année. «Livres Ouverts» est une ressource pédagogique qui suggère des livres et des pistes d’exploration en classe en lien avec le programme d’éducation québécois. De plus, chacun des livres proposés est analysé en fonction de son niveau de difficulté et en fonction du continuum d’apprentissage de la lecture. Dans ses propositions d’exploitation pédagogiques, Livres Ouverts suggère d’aborder les sujets du mensonge versus celui de l’imagination; dans cette situation, Colette a-t-elle un comportement acceptable? Il propose également d’échanger en classe sur les thématiques de l’amitié et du jeu avec un nouveau groupe d’amis, particulièrement lorsque l’on arrive dans un nouvel environnement. Finalement, on y suggère d’imaginer avec les enfants la suite de l’histoire de Colette avec sa nouvelle bande d’amis tout en répondant aux questions évoquées par les personnages à la fin du récit.
Analyse. L’héroïne de l’histoire est une petite fille de 6 ans habillée tout en jaune qui ressemble drôlement au Petit Chaperon Rouge. On pourrait la décrire comme une enfant avec beaucoup d’imagination et ayant une grande facilité pour sociabiliser. Avec son pouvoir d’imagination, elle invente l’histoire de son oiseau perdu et c’est ainsi qu’elle réussit à rallier les enfants de la ruelle autour de sa quête. Son histoire inventée laisse une ambiguïté dans la compréhension du lecteur: possède-t-elle réellement un oiseau, est-ce son imagination ou bien un mensonge? Ou encore, serait-ce un moyen de se faire de nouveaux amis? Le thème sous-entendu du récit est celui de la quête de nouvelles amitiés. À travers la découverte de son voisinage, les personnages offrent une belle représentativité de la réalité multiculturelle de Montréal. Ce n’est pas l’histoire qui met l’emphase sur la diversité culturelle, mais plutôt les illustrations qui suggèrent une certaine diversité chez les enfants (noirs, caucasiens, et asiatiques). Le scénario est construit autour du mensonge (ou l’imaginaire) de Colette qui invente la disparition de sa perruche. C’est au fil des rencontres des enfants de la ruelle qu’ elle développe son histoire d’oiseau; les enfants finissent par l’ accepter comme amie à cause de son imagination débordante. Les illustrations aux crayons pastel amènent une douceur à l’histoire avec une prédominance de couleurs jaunes, de noirs et de blancs. L’esthétisme général des illustrations se prête bien à l’univers de la petite-enfance. Je présenterais sans hésitation ce livre à des enfants parce que le texte est simple et bien conçu comme premières lectures et qu’ il s’agit d’une bonne initiation à la bande dessinée. À noter qu’il y aura une suite aux histoires de la bande du Mile-End! Rédigé par Dominic L. St-Louis
Goldstyn, J. (2015). Le prisonnier sans frontières. Montréal, Québec : Bayard Canada Livres. À partir de 9 ans (Bibliothèque publique).
Dans un pays non identifié, un homme participe à une manifestation pacifique avec sa petite fille quand les forces anti-émeutes chargent les manifestants et le font prisonnier. Enfermé sans autre forme de procès, il tente de protester, mais se heurte inlassablement au silence de son geôlier, jusqu’au jour où lui-même cesse de parler.
Le temps passe, et le prisonnier sombre de plus en plus dans le désespoir. Mais soudain, il reçoit une lettre d’un étranger qui lui exprime son soutien. Lettre aussitôt lue, aussitôt confisquée. C’est alors qu’en arrive une autre, et puis une autre, et puis encore une autre…
Le prisonnier sans frontières est une bande dessinée sans paroles de Jacques Goldstyn, le célèbre dessinateur de la revue Les Débrouillards. Mieux que mille mots sans doute, elle illustre l’importance de l’engagement citoyen dans la vie des gens détenus parce qu’ils ont osé s’exprimer.
Source. Livres ouverts est un site Web du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur qui propose une sélection de livres destinés aux jeunes du préscolaire au secondaire. Cette sélection, faite par des spécialistes de la littérature pour la jeunesse, s’adresse en premier lieu aux intervenants du milieu scolaire. La notice de chacun des livres comprend notamment un commentaire descriptif, des indices de difficulté de lecture, des mots-clés et des pistes d’exploration.
La notice du Prisonnier sans frontières lui accorde un niveau de difficulté de lecture de 3 sur une possibilité de 1 à 11, ce qui contribue à déterminer le lectorat cible mentionné précédemment. Elle le classe sous le chapitre thématique « Aiguiser son sens politique » et propose des pistes d’exploration allant en ce sens. Son commentaire descriptif, quant à lui, fait état du caractère hybride du livre, décrit ici comme un album « évoquant » la bande dessinée.
Analyse. Comme mentionné précédemment, Le prisonnier sans frontières est un livre à la limite entre l’album et la bande dessinée, bien que la page de titre le présente comme une bande dessinée.
En effet, si plusieurs pages sont composées de cases sans contour, d’autres ne comptent qu’une grande illustration, comme dans les albums. L’absence de phylactères − et de paroles tout court, à l’image du prisonnier à qui on a enlevé le droit de s’exprimer – contribue également au flou quant au type de livre auquel on a affaire, flou qui importe finalement bien peu lors de la « lecture » des images, aussi parlantes, sinon plus, que des mots.
Ainsi, nous pouvons voir Le prisonnier sans frontières comme une bande dessinée psychologique dont le but est d’inciter à l’engagement citoyen, but d’ailleurs mentionné par l’auteur dans sa préface précédée de celle de Béatrice Vaugrante, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone.
Malgré ce rôle utilitaire, l’œuvre traite le thème de la liberté d’expression confisquée avec beaucoup de finesse, autant dans la façon dont les stéréotypes sont interprétés – notamment le manifestant pacifique et le geôlier obéissant aveuglément aux ordres – que dans les illustrations, aux traits légers et aux teintes pastel. De discrètes touches d’humour ainsi que l’espoir incarné par les lettres reçues des quatre coins du monde illuminent cette histoire autrement bien sombre. Le résultat est touchant, et la dureté suffisamment atténuée pour que même des enfants lisent Le prisonnier sans frontières sans être bouleversés.
C’est pourquoi je considère que présenter ce livre à un groupe d’enfants ou d’adolescents serait approprié, et même tout à fait indiqué dans l’optique d’« aiguiser son sens politique », comme le propose Livres ouverts. En effet, le côté caricatural du récit permet de le comprendre parfaitement, mais laisse en même temps place à interprétation, d’autant plus que le texte en est absent. Une façon artistique, en somme, d’amener jeunes et moins jeunes à l’engagement citoyen. Rédigé par Cynthia Cloutier-Marenger.
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