Technopôle. Marché Angus. Nous avons trouvé la tente à l’enseigne de la bibliothèque vivante. J’ai reconnu Paula que j’avais déjà rencontré à quelques reprises pour discuter de la bibliothèque vivante; nous avons parlé un peu. Aujourd’hui, la température était torride, c’était exigeant pour les livres d’autant plus que, comme l’indiquait la liste de circulation, le taux de rotation semblait très élevé.
Nous avons consulté les notices du catalogue proposant une variété de titres : Entre la ligne de trappe et la ligne médiatique, Mettre fin à la violence, La sauvegarde de symboles sacrés, L’harmonie de la nature, etc. Nous avons choisi notre livre: En mouvement avec la Terre Mère. Le résumé parlait d’un récit de nomades. Une fois inscrits pour l’emprunter, il ne nous restait plus qu’à attendre le son de la clochette indiquant le début de la nouvelle ronde de lecture.
Lorsque notre tour est venu, nous nous sommes présentés puis Danick Duchesne s’est ouvert. Car Danick est le livre, le livre vivant, la trame documentaire, le porteur d’une narration, le texte.
Danick est un Montagnais du Lac St-Jean, fils d’un peuple de nomades, il appartient aujourd’hui à la communauté de Mashteuiatsh. Nomades parce que les Montagnais se déplaçaient constamment pour se nourrir, se vêtir, se marier, se remémorer dans différents lieux spécifiques selon les six saisons (ajoutons un pré-automne et un pré-printemps) de leur calendrier. Ils partaient aussi pour le grand voyage sur la rivière Mistassibi, deux ou trois familles à la fois, en canot et en portage. Il fallait trente jours pour se rendre sur le territoire d’été. Le grand voyage était un faiseur d’histoires bien sûr mais aussi, l’occasion de transmettre les histoires, même celle de la rivière elle-même qu’on lisait en route en suivant ses humeurs et sa cartographie de légendes (à géolocaliser).
Comme la légende du Windigo qui était un homme mangeur d’homme, grand et solide comme un arbre et qui a terrorisé les forêts et les peuples, qui les obligeaient à dormir dans les canots pendant le grand voyage jusqu’à ce qu’un Cri le tue un jour.
J’aurais dû lui demander où se cachait le Windigo aujourd’hui, dans le détour de quelle rivière…qui donc nous mangeait l’âme tout cru?
Les Montagnais sont des bons conteurs et des bon rieurs, a dit Danick, tellement que lorsque les Européens viennent les voir, ils ne veulent plus repartir…
Il n’y a pas deux livres pareils, même lorsque l’on rencontre le même conteur de soi, car nous sommes ici face au mystère de la parole vivante, de la rencontre et du lien entre les êtres humains. C’était un moment pour se découvrir, pour s’apprendre, pour se donner un vocabulaire plus grand, des significations partagées, un sens commun (qui est une forme de sentiment). Par exemple, j’ai toujours appris que « Québec » voulait dire « là où la rivière rétrécit » et, confession du vendredi, je me suis toujours demandé comment on avait pu fonder un pays sur le concept de « rétrécissement »… Je veux dire…
Mais Danick nous a proposé une alternative. Selon lui, « Québec » vient du montagnais « kepak » qui veut dire « l’endroit où l’on débarque ». Sincèrement, dans ma mythologie personnelle, je préfère, de beaucoup, au concept de rétrécir, celui de débarquer, de toucher la terre, de poser le pied après un long voyage. Débarquer, c’est naître aussi. de Je suis reparti avec un Québec nouveau, heureusement débarquée chez les Montagnais, née un peu moins loin d’eux et du sol dans lequel je me suis, par filiation, ancrée.
La séance de lecture a duré 20 minutes à peu près. On l’a remercié, on s’est levé, et pour couper le lien avec une touche d’humour dans le regret, on lui a dit que le moment était venu de tourner la page.
J’ai vu passer sur la liste de l’EBSI que l’Université Concordia prévoyait la tenue d’une bibliothèque vivante au mois de septembre. Une bien belle idée pour la rentrée. Ils n’ont pas évoqué le contenu de leur catalogue. Si vous avez la chance d’y participer, n’hésitez pas.
D’abord, cette expérience nous apporte une vision plus fraîche de la littérature où la technologie documentaire – papier ou numérique, peu importe dont on parle tant voire trop – n’est peut-être jamais qu’un obstacle entre l’auteur et le lecteur.
Et puis, comme je l’ai déjà dit, cette activité est la forme la plus pure de la médiation, de la relation entre mémoire et transmission; c’est un geste politique en faveur de la parole vivante, en faveur de l’autre et de ce « nous » constitué dans l’échange, une action contre les préjugés, les intolérances, les violences.
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