Les femmes apprennent, comme les hommes, à parler. On dit même qu’elles sont bavardes. Mais, paradoxalement, les femmes rapportent aussi que, dans des contextes où l’on sollicite des avis, des opinions, des interventions publiques, elles n’osent pas s’exprimer. On peut supposer que, encore de nos jours, la rareté des modèles positifs et les pressions sociales n’encourageraient pas la prise de parole pour elles.
Par ailleurs, le pouvoir patriarcal est inscrit dans le langage et, naturellement, il s’insinue, au sein de nos sociétés, dans les tribunes publiques auréolées de prestige telles que l’enceinte parlementaire, le conseil d’administration, l’université, qui sont encore des territoires marqués par la domination masculine. Le Web possède aujourd’hui un aura indéniable; il constitue un espace public de conversations, de paroles qui a produit son propre système de valeurs, de statuts, de leaders, les leaders online, avec le facteur technologique, qui est associé aux hommes – et au patriarcat.
J’ai reçu l’avant-première du classement de Wikio du mois d’août en sciences de l’information parce que j’y figure en bonne place, m’a-t-on prévenu. Les classements m’intéressent pour ce qu’ils montrent et ce qu’ils ne montrent pas, pour ceux qui y sont et ceux qui n’y sont pas. Mais surtout pour celles qui n’y sont pas. Les résultats de Wikio appellent, de mon point de vue, un commentaire féministe parce que l’on peut y lire, sans effort, l’impact de la différence des genres.
Voici ce classement :
Je ne connais pas très bien tous ceux et celles qui y figurent, et j’aimerais que l’on me corrige si j’ai mal identifié certains contributeurs/trices. Mais dans le palmarès des vingt premiers représentants, j’ai compté trois blogueuses, peut-être quatre : Bibliomancienne, TeXtes, Marlène’s corner et puis, je crois bien avoir eu ouï-dire que Gallica est mené (avec aplomb) par une gestionnaire de communauté, mais je n’en suis pas certaine. Remarquez qu’il faudrait que je me sois trompé encore six fois pour que l’on puisse considérer que l’on se parle d’égal à égale.
Ajoutons qu’il s’agit ici du secteur des sciences de l’information qui comprend de nombreux bibliothécaires, une profession largement dotée de femmes (« un si joli métier pour une femme! »). Dans ces conditions, on aurait pu espérer que cette situation favorable en nombre aurait pu compenser les mécanismes préférentiels gênant l’accès de celles-ci à la cohorte de tête. Mais, ce n’est pas le cas apparemment.
On pourrait peut-être suggérer que la disposition des bibliothécaires à investir les plate-formes publiques est aggravée ou fragilisée par la relation trouble que la profession entretient à l’égard de la voix contre le silence que l’on a si longtemps pesé, protégé, valorisé, gardé pour les autres puis pour soi, comme si ça allait de soi. C’est un déterminisme qui s’ajoute au genre pour faire obstacle à l’élocution. Ce chhhhut! qui caractérise encore si fortement la représentation des bibliothécaires a modelé sur lui, des gens discrets, calmes, tranquilles, peu revendicateurs: un héritage complexe, voire préjudiciable…On a qu’à penser qu’une augmentation de salaire doit être formulée de manière à être audible.
Cela dit, en observant les activités sur le Web, celles des biblioveilleurs ou des biblioblogueurs, c’est un peu comme lorsque l’on fait le tour des gestionnaires: rien ne pourrait nous permettre de penser qu’il s’agit d’une profession à majorité « féminine ». Évidemment, il y a les exceptions, on mentionne toujours les exceptions, comme en politique, on nomme Margaret Thatcher ou Angela Merkel et toutes les autres exceptions dans un système d’exceptions, c’est-à-dire de microsexisme. Si la matière des historiens des bibliothèques se concentre sur la production web, ce sera encore une histoire écrite sans elles.
Je ne discuterai pas de l’algorithme de Wikio, je vais laisser ce sujet à un gars comme Martin Lessard qui s’est aussi, soulignons-le, penché sur la thématique du genre dans le classement Québec avec ce constat qui a suscité chez lui une bonne dose de perplexité: la techno pour eux et la cuisine pour elles. Ces données m’avaient aussi fait réagir mais cette fois, je réalise que la situation en sciences de l’information est peut-être encore plus…éloquente.
(Ton ironique). Quand même, que d’innovations sociales nous apportent le Web!
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