La N-bibliothèque de demain

Au cours de ces quelques heures dans les bibliothèques de Delft (DOK) et d’Amsterdam (OBA), je n’ai pas abusé de mon ruban à mesurer – l’outil clé des bibliothécaires qui construisent: l’enjeu s’est déplacé ailleurs. Je me suis assise dehors et puis dedans, j’ai siroté des cafés, j’ai regardé les gens bouger, j’ai essayé d’oublier mes normes et mes références juste pour sentir ce qui se passait, me connecter, essayer de voir au-delà un peu de la surface.

Mais assez vite, j’ai eu conscience que l’effet que ces projets si justes avaient sur moi était conditionné par le fait de les envisager comme des gestes architecturaux très intimement inscrits dans leur histoire de production et un certain art de vivre néerlandais auquel je ne saurais jamais vraiment accéder. Comme une historienne de l’art, je pourrais reconstruire le tableau en faisant certaines inférences en position de spectatrice et en les co-vérifiant avec d’autres « historiens de l’art ». Avec tout ce que ceci peut comporter de propositions valides, mais aussi de  limites et d’inadéquations lorsque l’on pense à transposer dans notre culture des motivations, des cheminements et des processus qui ne nous appartiennent pas. Il est tellement tentant, parfois de rapporter des modèles et des recettes chez soi en faisant l’économie de reprendre la question de notre véritable destination.

Tentant aussi d’appliquer des formules sans s’investir pour aller encore plus loin, repousser les frontières tracées par ceux qui précèdent.

En disant cela, je ne remets pas en question le concept de troisième lieu et surtout pas la pertinence politique globale de cette nouvelle génération de bibliothèques, auquel je souscris d’emblée. Juste cette précaution, une note à soi-même, qui est celle de ne pas élire et bâtir le troisième lieu d’un autre.

Mais voici quelques principes incarnés dans ces bibliothèques troisième lieu, dont je crédite les publications de Mathilde Servet ici et ici encore pour l’appareil théorique, qui pourraient alimenter une réflexion contextualisée sur la programmation : l’image de marque, l’expérience (comme démarche et comme principe de marketing)  la flexibilité, l’amalgame du privé et du public, la création de liens (en termes de collaboration, d’interaction, de cohésion sociale, de développement durable), le zoning, l’empreinte technologique (en termes de connectivité, de mobilité, de libre-service).

Je reviendrai sur ces différents aspects en essayant d’explorer d’autres n-dimensions et en cherchant, à chaque fois, à introduire une préoccupation en faveur d’une démarche de design intégré ou participatif qui accentue encore l’approche centrée sur l’usager.  Je commencerai par les 3 suivants :

1. L’image de marque. L’approche marketing détermine stratégiquement l’orientation de la programmation des bibliothèques à construire.  On veut donner aux nouvelles bibliothèques une signature, un branding, les distinguer des autres bibliothèques, des établissements publics autour mais plus encore on veut marquer une rupture avec la tradition, avec l’entrepôt de livres, l’austérité, les représentations négatives qui compromettent la perception et les usages de cette institution. On entreprend donc un exercice de démarcation aussi bien verticale qu’horizontale. On renomme la bibliothèque, on développe un langage architectural ambitieux, on enrichit la mission d’une fonction sociale renouvelée et visible fondée sur une accentuation des services de formation, de médiation, de création.

En s’investissant dans une réflexion sur la signature, la participation des membres de la communauté constitue une clé nécessaire dans la recherche d’une identité signifiante pour ceux-ci localement en tant que projet d’innovation et levier pour le développement durable.

2. Le zoning. Un espace pour tous et pour chacun : C’est le principe du zoning. C’est-à-dire qu’il faut penser à des espaces variés que ce soit pour différents publics (enfants, adolescents, adultes, aînés, etc.), pour différents  style de lecteurs et d’apprenants, pour différents documents/médias ainsi qu’on l’amène dans les directives de l‘IFLA. Et comme les usagers sont, en-deçà de leur appartenance sociologique, des individus, ils manifestent aussi leurs préférences, quant au bruit, à l’intimité, l’animation, la proximité, la socialisation.

Par ailleurs, et dans la mesure où la question de la formation est pregnante, il faut, en outre, prendre en compte la diversité des apprenants. Selon leurs styles, certains apprennent mieux en groupe ou individuellement.  Dans bien des cas, on souhaite avoir des facilités pour emprunter un ordinateur ou brancher le sien. Les lecteurs eux vont se distribuer entre des places individuelles, des tables pouvant accueillir plusieurs personnes, des salles pour le travail en équipe, des salons de lecture, des cafés.

Une réflexion sur la typologie des individus et des groupes sociodémographiques est complétée par une analyse des styles de communautés et des besoins de soutien associés à des projets territoriaux: musiques alternatives? Multimédia ? Affaires? Coworking et travailleurs autonomes ? Initiatives en réseaux (Living Lab, Fab Lab)?

3. La flexibilité. La signature architecturale mise sur un aménagement flexible. Les bibliothèques sont des projets qui s’inscrivent dans la durée, elles ne sont pas vulnérables ou précaires comme les micro-projets sociaux qui naissent et meurent au gré des subventions publiques. Mais pour assurer leur actualité et leur pertinence, à travers le temps, il est nécessaire de concevoir des espaces adaptables dont l’utilisation est appelée à changer en raison des transformations sociales, de la mobilité des populations, de l’importance de renouveler la présentation et la théâtralisation des lieux afin de préserver l’attention du public.

La voie, indiscutablement verte, de la réutilisation préconise des dégagements combinés à des dispositifs mobiles, du mobilier sur roulettes, des étagères qui ne sont pas fixes, permettant une reconfiguration des lieux sans perturbation et et à peu de frais en fonction des nouveaux besoins. Cette approche assure une accessibilité et une disponibilité de l’espace qui est favorable à une appropriation par les usagers, une sémantisation pour soi, une personnalisation de l’environnement matériel.

4 réponses à « La N-bibliothèque de demain »

  1. Ce que je trouve marquant dans ces clichés, c’est le côté lisse et une sorte de solitude de l’individu dans l’immensité des lieux… Je ne rêve pas de tels endroits pour des liens sociaux et le côté branché « couleurs » et design de la section Jeunesse ressemble à un intérieur (impersonnel) de catalogue… Beau certes, mais trop parfait à mon goût. Là où de (rares) bibliothèques ont travaillé sur des intérieurs où les pièces sont de taille humaine, où les ordinateurs sont mis dans des pièces qui ressemblent au côté quotidien du foyer : univers familial avec la possibilité d’y inscrire une trace (endroits pour mettre une carte postale par exemple, des dessins d’enfants, sa mini-collection de ce que l’on apprécie sous verre)… On observe des échanges très intéressants (et différents) entre les publics. C’est une conception fort différente (loin du design urbain épuré, certes) et peu importe le nom que l’on met derrière cela : tiers lieu ou je ne sais quoi.

  2. […] Pour signaler que cet article à une suite en 2 parties, La N-bibliothèque comme expérience 1ère partie, 2ème […]

  3. […] vous connaissez certainement le concept de bibliothèque troisième lieu si bien expliqué dans une série de billets par ma collègue Marie D. Martel. Il s’agit d’un modèle des plus […]

  4. […] programmes locaux : elles définissent essentiellement des conditions gagnantes pour des projets de n-bibliothèques au sein des […]

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