Le weekend dernier, j’ai passé quelques heures dans une bibliothèque troisième lieu qui est considérée comme une icône: la DOK de Delft au Pays-Bas.
Le concept de bibliothèque troisième lieu a été exploré de manière remarquable par Mathilde Servet dans une thèse qui mériterait certainement d’être publiée ainsi que dans un article récent. Celle-ci a introduit dans le contexte francophone, en l’approfondissant, une littérature en ébullition depuis quelques années du côté anglo-saxon et qui étend les travaux du sociologue et urbaniste Ray Oldenburg sur « The Third Place » au domaine des bibliothèques. On peut googler « Third Place Library » pour le constater.
« Oldenburg suggests that beer gardens, main streets, pubs, cafes, coffeehouses, post offices, and other third places are the heart of a community’s social vitality and the foundation of a functioning democracy. They promote social equality by leveling the status of guests, provide a setting for grassroots politics, create habits of public association, and offer psychological support to individuals and communities.
Oldenburg identifies that in modern suburban societies time is primarily spent in isolated first (home) and second (work) places. In contrast, third places offer a neutral public space for a community to connect and establish bonds. Third places « host the regular, voluntary, informal, and happily anticipated gatherings of individuals beyond the realms of home and work. » (Wikipédia)
Sur le site Project for Public Spaces qui répertorie les troisièmes lieux, quelques bibliothèques sont désormais recensées.
Il existe un courant philosophique, se revendiquant d’Habermas, j’en ai déjà parlé, qui pense la bibliothèque comme une sphère publique, c’est-à-dire un espace qui rend positivement accessible, et en toute égalité, en toute neutralité, la diversité et la confrontation des points de vue, des prétentions au vrai, au beau et au bien, et qui favorise, ce faisant, la création de capital social et l’émergence de la démocratie. On reconnaît alors qu’il existe un travail politique qui se déroule toujours déjà dans la bibliothèque et qui la prédispose pour figurer au rang des « bonnes places » identifiées par Oldenburg. Lorsque ces dispositions de sphère public sont exprimées et amplifiées à travers une élaboration typique des espaces et de l’aménagement intérieur, je suggère que la bibliothèque, pourrait bien représenter un « super troisième lieu ».
En somme, le troisième lieu constitue le programme social et matériel correspondant naturellement au statut de sphère publique de la bibliothèque. Ce concept permet, non seulement de fonder le rôle politique de la bibliothèque, il encadre aussi, dans un sens élevé, le mandat que l’on donne aux architectes; il fournit des raisons externes, notamment comme opérateur de cohésion sociale, pour développer un certain concept de bibliothèque physique.
En revanche, ce qui peut déstabiliser, avec le troisième lieu, c’est la manière un peu insolente dont le politique et le marketing co-existent et se renforce mutuellemet au sein de cet appareil théorique.
Suivant cette perspective marketing, comme l’explique Servet, dans sa thèse par exemple, on veut être au plus près de besoins des usagers et évidemment, les fidéliser. Or, pour ce faire, on cherche à convier les usagers dans un lieu qui aura un impact émotionnel fort. On dit que la nouvelle bibliothèque doit posséder un facteur “wow”. On veut que les usagers vivent une expérience actuelle attrayante, excitante, stimulante, dans un endroit qui véhicule un «aura positif », qui soit « hot », qui soit ludique, qui traduise un certain style de vie auquel on serait disposé à s’identifier, une place où l’on aimerait être avec d’autres certes, mais surtout, peut-être, un lieu où l’on aimerait être vu.
Les modèles retenus s’inspirent souvent de l’ambiance d’un café des connaissances ou même d’un centre communautaire ou commercial. Dans cette logique, la bibliothèque se métamorphose en destination, elle n’est plus un lieu où l’on passe et circule mais un lieu en soi, un horizon d’atteinte pour soi.
Dans une conférence au dernier Congrès des Milieux documentaires 2010, dans l’article pointé plus haut et dans un autre à paraître dans Argus, Servet donne l’exemple de DOK de Delft au Pays-Bas qui se présente comme Library Concept Centre. Cette bibliothèque s’offre, dit-elle, avec sa vitrine de verre comme un laboratoire vivant d’expériences techno, d’accès tendances au savoir et à la culture et…ne se gêne pas pour revendiquer le titre de la bibliothèque la plus moderne au monde. Je ne sais pas si le mot « moderne » est bien choisi mais, je lui reconnais sans peine la première place en tant que le projet le plus juste qu’il m’ait été donnée de voir.
À l’OBA, la nouvelle bibliothèque centrale d’Amsterdam, dans l’espace multimédia, on a aussi l’audace de miser sur des expériences sensorielles pures avec des alcôves aménagées de coussins et dotées de murs lumineux qui changent de couleur. Assez planant…
J’ai bien dû faire quelques centaines de photos dans mon parcours néerlandais. Mais mes connexions Internet que ce soit à Amsterdam ou à Paris n’ont pas été assez généreuses pour les passer. J’y reviendrai donc.
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