Le projet de construction du nouvel édifice de la bibliothèque publique de Varennes a fait date. Ouverte au public en décembre 2014, la bibliothèque est le premier bâtiment public de conception nette zéro au Québec : Il est entièrement autosuffisant sur le plan énergétique. Comment pourrait-on, à partir de cette performance, commencer à réfléchir plus largement à la question de l’engagement socio-écologique d’une bibliothèque publique ?
La toute première bibliothèque de cette municipalité de la Rive Sud, en bordure du fleuve, a été fondée en 1900 ⎼ suivant le modèle des bibliothèques paroissiales. C’est en 1982 que sera inaugurée l’institution qui porte encore aujourd’hui le nom de « bibliothèque Jacques-Lemoyne-de-Sainte-Marie » en mémoire de ce seigneur dont les activités remontent au début de l’installation coloniale.
La présence physique de la nouvelle bibliothèque est bien affirmée dans le paysage urbain. Son esthétique intrigue juste assez pour figurer comme l’emblème d’un projet audacieux et innovant ⎼ en tout cas en matière de construction de bâtiments publics. Sa forme simple reprend le vocabulaire de l’idéotype de la maison, quelque part entre la résidence de banlieue avec une attitude et la maison longue.
La superficie de 2000 m2 abrite exclusivement la fonction de bibliothèque qui dessert plus de 21 000 habitant.e.s. L’édifice est avantageusement situé dans un secteur de services de la municipalité et sur un axe routier achalandé. Implantée dans un parc, le « Pré vert », longée par un réseau de pistes cyclables, la bibliothèque côtoie la piscine publique ainsi que des aires variées de loisir ; le CLSC lui fait face. Bordée d’un stationnement, l’entrée est facilement repérable en creux du volume. Celle-ci fait aussi partie d’un tracé et d’un pourtour bétonné qui forme un chemin invitant à la déambulation jusqu’à un contrebas avec des effets de place public qui joue la transition entre la bibliothèque et la ville. L’aménagement paysager, une réalisation de VLAN architecture, est un écrin pour cette bibliothèque.
Le bâtiment de deux étages est de forme allongée et de profondeur réduite pour favoriser une ventilation naturelle et bénéficier de l’ensoleillement. Plus précisément, le volume principal, en bois, est orienté de manière à permettre un maximum d’exposition des surfaces au sud au moyen des toitures qui sont recouvertes de 700 m2 de lanterneaux et de panneaux photovoltaïques produisant 120 000 kWh/année. Cet appareil forme une voilure en surplomb qui est l’élément signal du projet. La fenestration est généreuse, la transparence ne permet pas la lisibilité des activités qui se déroulent entre les murs, mais les espaces sont abondamment baignés de lumière naturelle. Cette luminosité est accrue à l’intérieure par le choix de couleurs et des finis clairs.
L’architecture et les différents systèmes efficaces mis en place, incluant la géothermie, font de ce projet un champion de l’efficacité énergétique. Cette prouesse, qui comprend une certification LEED, aura permis d’attribuer à cet équipement le label de « bibliothèque du futur » dans l’ouvrage Demain, le Québec : des initiatives inspirantes pour un monde vert et plus juste ⎼ inspiré en amont du documentaire bien connu Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent ⎼ et qui lui consacre un chapitre dans la section Bâtir avec la nature (extrait) :
Pour réduire le gaspillage au maximum, pas question d’avoir des distributrices de boissons gazeuses. Celles-ci consommeraient autant que 50 ordinateurs sur une année ! Pas question non plus d’installer une buvette réfrigérée. « Notre bibliothèque permet que les usagers apportent leur café pourvu que les contenants aient un couvercle. On préfère un livre taché de jus d’orange plutôt qu’un livre qui n’est jamais ouvert », exprime une employée. Et le personnel n’a aucun ressentiment à s’adapter au bâtiment. « Ça ne me dérange pas du tout de garder ma veste quand c’est plus frais au début de la journée avant l’arrivée des autres usagers qui contribueront eux aussi à chauffer le bâtiment. Je suis devenue plus sensible à l’environnement et à l’importance de l’économie d’énergie. » Elle n’est pas la seule. Les enfants qui y viennent apprennent à être moins énergivores. Et ils amènent leurs parents, puis leurs grands-parents. « Ce sont nos meilleurs ambassadeurs. Le regard des jeunes m’éblouit, il m’émerveille. Ils ressortent d’ici la tête pleine d’idées et sont porteurs de rêves. » De leurs propres aveux, les employés s’enorgueillissent de travailler dans un lieu qui fait rayonner toute leur communauté. Après tout, la bibliothèque est le lieu public le plus fréquenté de Varennes ! Au-delà du pouvoir de faire rêver des livres, une bibliothèque peut aussi être un véritable moteur de transformation communautaire.
En 2016, l’édifice a généré exactement 123 833 kilowatts et en a consommé seulement 93 838 ! Tout est comptabilisé avec minutie. De soir, l’édifice est alimenté en électricité grâce à des crédits accumulés au plus fort de l’ensoleillement. De jour, le surplus d’énergie est redistribué dans le réseau d’Hydro-Québec. Pour l’instant, la société d’État obtient cette énergie tout à fait gratuitement, mais il est permis d’espérer qu’un jour pas si lointain, elle acceptera de payer l’électricité générée par des bâtiments verts et autonomes sur le plan énergétique. » (Demain, le Québec, p.131-132)
Faire date ou faire école ?
La bibliothèque de Varennes a certainement fait date en matière de bâtiment public au Québec, même si elle n’a peut-être pas (encore) rallier une masse critique d’adeptes chez les bâtisseurs de bibliothèques tentés par une expérience similaire. Un tel mouvement n’a pas encore eu lieu, en dépit de la prédiction, prudente néanmoins, de l’architecte Jacques Plante dans l’ouvrage Architectures de la connaissance : « ce projet fera peut-être école… » Quand on considère le résultat et la vision écologique portée par les parties prenantes (élus, membres de la communauté locale impliqués, notamment l’organisation CanmetÉNERGIE, et les experts qui ont participé au processus de design intégré – une approche que l’on ne saurait toutefois confondre avec un projet de participation citoyenne « profond »), son statut de précurseur est indiscutable.
Et comme l’extrait plus haut le suggère, il semble bien que l’on ait également réussi à faire de cet équipement un projet capacitaire, centré sur le savoir écologique, apte à sensibiliser les habitant.e.s en matière de consommation énergétique. Ces efforts ont par ailleurs été récompensés par deux prix (l’un en immobilier, l’autre par le Réseau Les Arts et la ville).
Ce n’est certes pas la seule bibliothèque LEED au Québec et, parmi ces nouveaux équipements, rares sont ceux qui puissent revendiquer l’exemplarité au-delà de la certification et qui ont visé, en termes d’impact, une transformation dans les comportements et les convictions de ceux et celles qui les fréquentent. Pourtant, dans ce cas, le bâtiment est apparemment devenu un repère en matière de littératie environnementale ainsi qu’on le préconise, notamment dans l’ouvrage The Green Library Planner, sous la rubrique The Library Building as a Teaching Tool :
As you design your building, it is important that you consider the ways in which your library building can be an educational tool to teach the community about sustainability and foster behavioral change using similar technics at home, at work, and in the community. (p. 130)
En revanche, je me demande dans quelle mesure le programme bibliothéconomique de la bibliothèque de Varennes a reflété ou prolongé les ambitions écologiques de son programme architectural et comment, sur ce chapitre, l’établissement se distingue des autres bibliothèques du Québec ? Celle-ci dispose d’une grainothèque et d’un laboratoire de création numérique, des services qui, aujourd’hui sont suffisamment répandus pour que ces initiatives n’apparaissent plus tout à fait exceptionnelles. Au demeurant, il serait intéressant de voir si ces services s’inscrivent dans une vision et une stratégie qui sont définies en lien avec la lutte contre la crise climatique, le développement durable, la promotion de l’éco-citoyenneté, la résilience, l’engagement pour la transition écologique ou la décroissance ou les communs, ou autre, selon l’approche privilégiée, et si l’on peut, à ce titre, identifier à quelle enseigne loge la bibliothèque sur ces questions ?
C’est un aspect à approfondir et que ma visite de cliente-mystère récemment et la consultation des activités sur la page Facebook ou sur le site ne m’ont pas permis de capturer de manière satisfaisante. Dans tous les cas, la question de l’engagement et de l’innovation socio-écologiques des bibliothèques publiques québécoises devraient être l’occasion d’une réflexion au plan de l’approche et de l’évaluation de la performance et de l’impact. Concernant l’évaluation, le recours à des indicateurs tels que ceux qui sont disponibles à partir des objectifs des développement durable (ODDs) est certainement une voie qui s’impose et que les bibliothèques dans le monde s’approprient depuis déjà quelques années avec le soutien de l’IFLA et des initiatives locales et nationales.
Les plus et les moins
Je propose en sus quelques constats sur la performance tirée de StatsBib et de certaines observations de circonstance réalisées à la suite de cette visite.
Les plus
1. Si l’on compare à plusieurs bibliothèques publiques québécoises, la situation de ce service public est enviable ; elle dépasse, de fait, les attentes quant à plusieurs des indicateurs – suivant les Lignes directrices des bibliothèques publiques : superficie du bâtiment, places assises pour 1000 habitants, nombre de livres imprimés par habitant, postes internet pour le public.
2. L’accueil est une force considérant l’aspect attrayant et convivial de l’entrée et la qualité du personnel – surtout en ces temps de COVID – qui est aussi avenant que bien informé au sujet des caractéristiques de l’équipement.
3. Le programme de l’espace pour les ados est plus développé que dans plusieurs bibliothèques de taille comparable ; il présente une bonne superficie et suggère des possibilités de reconfiguration permettant à ses usagers de s’en approprier les contours ⎼ incluant ceux du laboratoire de création numérique.
Les moins
1. Par rapport à ces mêmes Lignes directrices, on constate que la situation de la bibliothèque est moins favorable en regard de quelques autres indicateurs significatifs. La bibliothèque ouvre normalement 50 heures/semaine, ce qui correspond à un service de base (c’est peut-être moins en ce moment, mais pour des raisons que l’on peut expliquer en lien avec la COVID). Le taux de bibliothécaires ETC par 10 000 habitants n’est ni excellent, ni bon, il est de base : ce qui n’est guère prometteur pour « demain » dans le contexte des défis actuels.
2. L’espace est bien chargé d’une forêt de rayonnages et ce même si selon des informations affichées une partie de la collection est stockée dans une réserve au sous-sol. Les rayonnages sont trop hauts du côté des enfants. Je suis toujours étonnée de voir que l’on installe encore des rayonnages où les documents se trouvent potentiellement hors d’atteinte de leurs publics.
3. Les espaces typiquement sociaux d’une bibliothèque troisième lieu (salle communautaire et café) sont plus ou moins réussis. Le format de la salle dite communautaire est réduit et ne peut guère accueillir plus d’une quinzaine de personnes – en temps normal. Elle sert plutôt de salle d’exposition qui semble tenir lieu de fonction principale avec une série de panneaux temporaires qui ne sont pas du meilleur effet et qui compromettent l’expérience du hall d’entrée. Bref, l’existence d’une salle proprement dédiée à la communauté pour accueillir des événements et des conversations avec un large groupe de citoyens est incertaine. Par ailleurs, au deuxième étage, un espace est aménagé à la manière d’un café, mais sans café ou services alimentaires (pour des raisons d’économie d’énergie); son usage conversationnel n’est pas non plus manifeste. L’espace est davantage utilisé comme un autre salon de lecture permettant d’être « seul avec d’autres ».
4. La section « Histoire locale » semble se chercher ; pour le moment, c’est la grainothèque qui est mise en valeur dans ce secteur.
5. La présence en ligne est encore rudimentaire avec un site qui est toujours dans sa version statique 1,0 avec des documents pdf ainsi qu’une page Facebook dont l’alimentation est approximative.
6. La location des best-sellers à 3 $, qui crée deux catégories de membres, ne constitue pas une pratique que l’on pourrait qualifier d’innovante alors que l’on tend à éliminer les obstacles à l’accès, notamment les obstacles économiques – comme les frais retards par exemple actuellement.
En conclusion
Dans une perspective plus générale, les conséquences d’une sous-dotation dans les bibliothèques québécoises se reflètent dans le développement des services quand l’heure de conjuguer la bibliothèque du futur au présent, en termes innovation socio-écologique, a sonné pour l’ensemble des bibliothèques, les nouvelles comme les anciennes.
Consolider, sinon repenser les programmes bibliothéconomiques avec une vision à la fois concertée et ancrée, mieux reliée surtout avec les acteurs et les actrices déjà impliqué.e.s dans les questions d’éducation à l’environnement et à l’écocitoyenneté est aussi urgent que peut l’être l’urgence climatique. L’évaluation de la performance et celle de l’impact socio-écologique des bibliothèques devrait aussi faire partie de cet agenda stratégique.
Il ne s’agit pas seulement d’une posture consistant à s’ajuster aux attentes découlant de l’administration publique ou autre, mais c’est d’abord une approche de professionnel.le qui assume une responsabilité forte, intentionnelle, en intervenant dans la concrétisation de politiques publiques ou, mieux encore, en contribuant à les façonner à la hauteur des défis d’aujourd’hui.
Maîtres d’ouvrage et d’oeuvre de ce projet
Propriétaire : Ville de Varennes
Architectes : Labbé, Laroche, Gagné, Leclerc et associés, architectes en consortium
Ingénieurs : Dessau
Entrepreneur en construction
Aménagement paysager : VLAN architecture
Références
Les étudiant.e.s qui ont fait le travail dans le cadre du cours SCI6305 à l’hiver 2020 et analysé la performance de cette bibliothèque m’ont aiguillonné sur ses forces et ses faiblesses.
Bibliothèque de Varennes. (n.d.). Repéré le 18 août 2020 à https://projetsverts.voirvert.ca/projets/bibliotheque-de-varennes
Creimer, D., L. Hénault-Ethier, K. Mayrand et J. Roy. (2019). Demain le Québec : Des initiatives inspirantes pour un monde plus vert et plus juste. Montréal : Les éditions La Presse.
Carr, Mary M. (2013). The Green Library Planner : What Every Librarian Needs to Know Before Starting to Build or Renovate. Lantham : The Scarecrow Press.
Fortier, R.. (2012). Zéro énergie. La nouvelle bibliothèque multifonctionnelle de Varennes : premier bâtiment institutionnel à consommation énergétique nette zéro en devenir au Québec. Voir vert (3), 22-25.
Mayer, S. (2014). L’architecture des bibliothèques québécoises : une bibliographie. Documentation et bibliothèques, 60 (2-3), 157–168. https://doi.org/10.7202/1025530ar
Plante, Jacques. (2013). Bibliothèque Jacques-Lemoyne-de-Sainte-Marie. In Architectures de la connaissance au Québec, sous la direction de Jacques Plante. Québec : Les Publications du Québec, 208-211.
Photos : Bibliothèque de Varennes – Marie D Martel / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0).
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