« Get out there and argue for one position »

J’ai déjà écrit au sujet de la Semaine de la liberté d’expression dans un billet perdu dans l’empilement chronologique des blogues que :

Cet événement est l’occasion de se rappeler qu’il s’agit d’un droit qui n’est jamais totalement acquis, même s’il est garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. Certaines histoires de censure apparaissent plus près de la fiction que de la réalité.  On dit que Alice au pays des merveilles aurait été censuré par le gouvernement chinois parce que les animaux y parlaient.  Robin des bois l’a été dans un état américain: prendre aux riches pour donner aux pauvres est une philosophie communiste.

Le droit de lire est remis en question chaque fois que les bibliothèques, les écoles, les librairies croisent leur Sarah Palin.  Un auteur, comme Stanley Fish, dira que la question de la liberté d’expression et de son contrôle, des limites du discours permis et proscrit, est une question essentiellement politique :

« it is the world of politics that decides what we can and cannot say, not the world of abstract philosophy. Speech always takes place in an environment of conviction, assumptions and perceptions, i.e., within the confines of a structured world.
The thing to do, …is get out there and argue for one position. »
Stanford Encyclopedia of Philosophy.

Cette recommandation fournit un agenda pour les bibliothécaires. Leur engagement et leur voix peuvent faire la différence et contribuer à marquer la frontière séparant la parole libre et de celle qui ne l’est plus. Soyez présents, faites-vous entendre, avant les autres.

« [G]et out there and argue for one position »… ou la parole appartient à ceux qui la prenne. C’est dans cet esprit qu’avec des biblio-complices, nous nous sommes lancés dans l’aventure de Libre de lire qui compte après une semaine d’activité 2000 visiteurs uniques.

La surprise n’est pas seulement dans le nombre intéressant des réponses, elle est aussi dans l’audace et la belle folie des envois qui ont été partagés. Ne manquez pas d’aller voir les propositions de Vincent A. Chapdelaine ( sur l’image) avec Noir Canada, Claude Ayerdi avec PostSecret, Véronique Dupuis (parce que ce sont souvent les mêmes groupes qui sont visés comme elle le dit), Lucie B. Bernier avec Marie Calumet, pour ne pas oublier, et Olivier Hamel, le biblioboxeur contre l’élitisme littéraire.

Une autre belle surprise, c’est d’entendre les récits de la censure en bibliothèques qui sortent dans les conversations, même sur le Web (merci Francine!). On devrait envisager de les cartographier. D’autant plus que l’on apprenait par la CLA qu’il existait une hausse dans le nombre de cas de censure et de contestations au Canada dans les bibliothèques.

Et ça m’a rappelé une histoire qui m’est arrivé quand j’étais à l’aide au lecteur dans une bibliothèque jeunesse (ex-Centrale Jeunes, celle-là même où Michel Tremblay est devenu un lecteur pendant son enfance…d’ailleurs, c’est moi qui lui ait annoncé la fermeture de ce lieu au Salon du livre en 2008 et j’ai eu droit à un « amicalement » dans l’exemplaire qu’il était en train de m’autographier – en échange sans doute de cette information qui, visiblement, l’avait troublé). Toujours est-il qu’un jour, une mère, dont aujourd’hui je n’ai plus en mémoire que les piercings, m’a ramené un livre en me demandant de le retirer des rayons car il contenait une page « impossible pour les enfants ». C’était un album de Pittau et Gervais, Les interdits des petits et des grands, avec une page oui qui montrait aux enfants ce qu’était un attouchement sexuel et qui verbalisait le refus qu’ils pouvaient opposer à ces comportements.

Ce qui désarçonne dans ce genre de situation, et le cas est typique car la plupart des contestations viennent de ce public, c’est d’avoir affaire à des parents pleins de bonne volonté, de soucis et d’amour pour leurs enfants. À l’époque, nous n’avions pas de formulaire à la bibliothèque pour prendre en note les cas de contestations et éviter au personnel de soutenir l’argument de la défense. Alors, je l’ai écouté et je lui ai sorti le discours de circonstance, c’est-à-dire que les bibliothèques étaient faites pour contenir toutes sortes de livres et que ce livre correspondait à la politique de la maison et qu’à partir de là la décision revenait aux parents, et non aux bibliothécaires, d’inclure ou d’exclure certaines lectures du monde de leurs enfants. Je lui ai aussi suggéré de lire les albums avant de les lire aux enfants en invoquant que ça permet d’avoir un coup de pratique et une longueur d’avance pour réfléchir aux questions qui pourraient surgir… ou pour mettre le livre de côté si l’on n’est pas à l’aise avec son contenu.

Mais je me souviens que ma suggestion ne l’a pas convaincue parce que  j’ai bien compris, à travers cet échange fort sympathique au demeurant, que sa peur était moins dans la possibilité de troubler ses enfants avec de telles lectures que de ne pas savoir comment parler de ces choses-là avec eux. La détresse parentale du manque de vocabulaire…mais je n’ai pas osé lui dire d’oser à ce moment-là, de se faire confiance et de faire confiance aux enfants, bien que je me disais qu’en n’osant pas, elle perpétuait le manque de vocabulaire dans la famille. Ce n’est pas simple…J’ai fini par lui dire que j’en parlerais à la responsable qui n’a pas hésité une demi-seconde avant de remettre Pittau et Gervais dans les rayons. La littérature jeunesse est une zone particulièrement sensible. Et j’en retiens que c’est souvent plus éprouvant d’avoir à faire face à un client, un parent déçu que d’avoir à se lancer dans l’arène public pour défendre la liberté d’expression.

Par ailleurs, la censure dans le domaine de la technologie de l’imprimé n’est qu’une dimension. J’attends encore que quelqu’un s’affiche avec une sorte de « libre de lire sans DRM »… Car, bien que nous ayons, pour le moment, focusé sur le contexte du livre sur Libre de lire, l’enjeu de la liberté d’expression rejoint ceux de la liberté d’information et de l’accès dont les bibliothécaires sont aussi d’irréductibles défenseurs. Alors que les bibliothèques offrent désormais des ressources et des services en ligne, ces enjeux ont pris des proportions énormes et complexes.

À ce propos, et pour revenir au sujet de l’agenda professionnel, je vous inviterais à consulter un des derniers numéros de Library Technology Reports (novembre/décembre 2010) sur le thème Privacy and Freedom of Information in 21st-Century Libraries qui aborde les réseaux sociaux, les contenus créés par les utilisateurs et les questions que ces environnements soulèvent en termes d’accès, de propriété, de vie privée. Le numéro examine également  la question du filtrage de l’internet et celle du RFID ( en lien avec la problématique de la gestion des renseignements personnels). J’attire l’attention en particulier sur l’article de Barbara Jones qui se penche sur les aspects globaux de l’information : « As the free flow of information transcends national boudaries, it become increasingly clear that prohibitions in one country will inhibit the freedom of those in many other countries of the world.  » Cette discussion nous  rappelle l’épisode sordide des oeuvres de Camus diffusées par Les Classiques des sciences sociales que l’on a connu récemment…et ce n’est qu’un début. On aura souvent l’occasion de se dire: »get out there and argue for one position ».

Les billets de quelques uns des complices de Libre de lire à partir du dernier publié :

Thierry sur Ludicité, Claude sur le Mur Mitoyen, Véronique sur Espace B, Lionel sur La Bibliothèque apprivoisée et le mien.

Ce n’est qu’un début…sortez et affichez-vous! La Semaine de la liberté d’expression se déroule entre le 20 et le 26 février 2011. Et après il y a encore bien d’autres semaines à couvrir…Et c’est un projet qui est ouvert à toute la francophonie.

6 réponses à « « Get out there and argue for one position » »

  1. Très bonne position sur la nécessaire prise de position… Et la nécessité de porter le débat sur la scène publique. Ton engagement est d’ailleurs très porteur!

  2. Merci Pierre mais c’est parce que tu m’as donné l’exemple.

  3. Merci pour les articles sur ce sujet fort pertinent. Pour ma part, j’aime bien associer la notion de droit avec celle du devoir. Un peu comme nous avons le droit à l’information, nous avons aussi le devoir de nous informer pour être en mesure de mieux jouer notre rôle de citoyen. Dans cet ordre d’idée, peut-être que la lecture est aussi un devoir dans la mesure où elle aide à assurer la vivacité de notre langue et notre culture. Et pour les parents, le devoir d’encourager les jeunes à la lecture…

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