Les Groupes Facebook : nouveaux usages, nouveaux territoires

Quand les nouveaux Groupes sont apparus sur Facebook, la semaine dernière, j’étais certaine qu’il s’agissait du dispositif que j’attendais depuis un certain temps déjà. En première ligne, Descary.com a tout de suite fait ressortir les fonctionnalités les plus évidentes de l’outil. À l’intérieur de deux jours, après la sortie de ce nouveau service, nous avions créé deux Groupes au bureau, fermés, c’est-à-dire privés je le souligne: le premier pour notre communauté immédiate de travail (appellons-le C) et l’autre pour l’organisation incluant les succursales (S). Cette technologie sociale répondait à un besoin que nous avions identifié, celui d’un lieu d’échanges rapides, informels qui soit convivial et localisé en dehors du contexte institutionnel des courriels. Ce qui suit constitue un ensemble d’hypothèses préliminaires sur les usages des Groupes Facebook dans un milieu professionnel.

L’adhésion dans le cas de C a été immédiate et volontaire mais plus intrusive, cependant, dans le cas de S, puisque nous avons profité de la possibilité d’ajouter des membres qui faisaient partie de nos réseaux respectifs. Le bouche à oreille faisant aussi son oeuvre, deux membres du personnel m’ont contacté pour avoir des informations en vue de se créer un compte FB afin d’accéder aux informations qui circuleraient au sein de ces Groupes.

Le Groupe C réunit onze membres et s’est tout de suite donné une vocation sociale dans le sens de « club social »:  les listes de cafés et des restaurants du coin ont été publiées, avec les questions de type « qui vient dîner? » en plus de quelques informations professionnelles. Je ne crois pas que nous aurions eu cette cascade d’échanges via nos comptes FB en dehors de cet environnement réservé sinon par courriel. Du côté du Groupe  S, qui compte 59 personnes, des contenus essentiellement professionnels associés à des événements à venir, des publications du blogue, de la veille ont été partagés.

J’ai été surprise de voir plusieurs demandes d’adhésion non sollicitées s’ajouter dans les jours qui ont suivi et personne qui ne se soit retiré. On a pu voir quelques réponses et des signaux d’intérêts de la part de membres de S qui n’avaient pas l’habitude de se manifester, par exemple, sur le blogue lorsque, à l’occasion, nous avons interpelé le réseau pour des commentaires, ou ailleurs encore, dans l’espace de discussion du wiki. Il est encore trop tôt pour conclure, mais les observations sur les activités déjà nombreuses et régulières en C, encourageantes pour S, donnent à penser que les perspectives pour que les Groupes FB s’installent comme des plates-formes d’échange fonctionnelles semblent très favorables.

Je vais reprendre la distinction entre les concepts de participation endogène et exogène proposée par Danah Boyd (qu’elle exploite essentiellement en rapport avec les TT (Trending Topics) sur Twitter) pour caractériser les pratiques conversationnelles des communautés sur FB. Lorsque les messages  émergent dans le contexte d’une communauté de proximité, dans un espace que l’on peut qualifier de « entre nous », on parlera d’un usage endogène. Quand le message s’adresse à tous, que la conversation n’est pas réservée aux initiés, que l’on touche le réseau social dans toute sa dilatation possible, le phénomène est exogène.

Facebook se prête très bien à la participation exogène et à la diffusion large d’un message appelé à se répandre viralement. Mais FB est rendu inefficace et insatisfaisant pour la participation endogène alors que la base de son immense succès reposait précisément à l’origine sur ces capacités.

Bien sûr qu’en requérant la souscription mutuelle des amis, FB suggère a priori l’existence d’une pratique endogène. Au début, comme on vient de le souligner, FB était ce café ou les amis se côtoyaient. Mais le fait est que l’augmentation rapide de la taille des réseaux, le peu que l’on connaît de certains amis, sinon rien, les identités plurielles qui entraînent la cohabitation mixte d’une grande diversité de gens ou d’organismes, m’ont amené à penser que le fil de discussion de FB s’est transformé en un canal qui ne pouvait plus assurer adéquatement la circulation de messages endogènes. FB se présente désormais comme une salle bruyante  à la façon de Twitter sans les avantages de ce dernier. Or, les Groupes permettent de renouer avec des usages de proximité.

On peut parler de l’étiolement  de ces espaces « entre nous » au sein de ce que FB est devenu parce que le « nous » du réseau social n’y présente plus de cohérence. L’hétérogénéité des amis fait en sorte que la circulation d’informations ou de messages générés par une communauté proche autour de contenus ou d’événements communs, sont susceptible d’apparaître déplacés et on préférera les renvoyer aux commentaires à partir d’un post ou alors en mode courriel. L’hétérogène est devenu un obstacle aux pratiques endogènes.

Il y a aussi, je pense, un effet de censure inévitable qui entrave la diffusion des messages qui ne sont pas nécessairement des contenus d’intérêt général ou particulièrement percutants mais qui, dans une communauté de proximité, peuvent jouer un rôle émotif dans la création des liens et leur pérennité. La conscience également de la co-existence arbitraire et captive des amis, celle aussi des relations d’incompatibilité entre certaines communautés, limitaient, pour moi, les échanges. L’apparition des Groupes, fermés surtout, permet de prendre à nouveau la parole et de dire des choses « entre nous », de façonner et d’entretenir ce « nous » à travers les conversations complices.

Pourquoi, à mon avis, les Groupes vont-ils transformer de façon significative les pratiques et les résultats que l’on attend des réseaux sociaux ? En raison de certaines caractéristiques de ce service qui sont susceptibles de favoriser avantageusement le retour d’une participation endogène :

1. La dissociation des communautés incompatibles. Je me souviens de l’exemple d’un conférencier de Silicon Valley qui rapportait l’exemple d’une professeur au primaire dont la meilleure amie était une célèbre Drag Queen qui partageait des photos assez explicites et qui se sont trouvés à croiser de manière inappropriée les enfants. Les Groupes constituent une solution pour éviter ce type de situations.  J’appartiens moi-même à plusieurs communautés dont certaines ne devraient pas se fréquenter, ne serait-ce que parce les contenus qui intéressent les uns ne sont pas susceptibles d’intéresser du tout les autres. On peut aussi penser que le flou entre les sphères privés et publiques, ou privés et professionnels pourraient s’atténuer et réintroduire des limites mieux définies pour ceux qui le souhaitent ou qui hésitent à joindre FB pour cette raison. Les listes ne représentaient pas une solution conviviale et la création de plusieurs comptes s’avère une alternative exigeante.

2. Le reserrement des communautés de pratiques. Le Groupe, dont la constitution est uniforme, permet des échanges ciblés et précis. Il permet éventuellement de collaborer, de partager des idées, des documents, des liens, de poser des questions, d’élaborer des objets nouveaux, de faire de la veille en dehors d’un public qui n’est pas destiné à être interpelé ou contributif.

4. L’accès à un lieu d’échange qui ne soit pas associé à un nouvel outil externe. Le recours à un outil localisé en dehors d’un environnement déjà familier et fréquenté sur une base régulière est généralement forcé et problématique. Nous avons essayé Yammer à l’interne mais définitivement ça n’a pas levé. Linkedin a aussi été considéré comme une option pour mettre en place un lieu d’échange pour l’organisation mais peu sont déjà présents sur ce réseau social ou même actifs lorsqu’ils y sont.

5. La liberté d’expression retrouvée. Ainsi que quelqu’un l’exprimait très bien vendredi sur Twitter: plus j’ai de personnes qui me suivent moins je me sens à l’aise de dire des choses…Il en est de même pour FB aujourd’hui. En ayant une meilleure appréciation de la composition de la communauté, la formulation du message risque moins d’engendrer des réflexes d’auto-censure.

Ces caractéristiques comblent des lacunes qui rendaient la diffusion des message dans FB de plus en plus confuse, approximative, voire ingérable. Par le bais des Groupes, les messages vont se répandre et atteindre de façon plus précise leur destination, favorisant du coup les interactions.

Ce que le retour de l’endogène comporte comme sérieux inconvénients:

1. Le travail de répartition. Sans les Groupes, il n’y avait pas d’efforts comparables à fournir pour cibler et spécifier le contenu et la destination des messages appelés à se répandre viralement. Avec les Groupes, s’ajoutent cette responsabilité et cet investissement supplémentaires qui consistent à distribuer les contenus appropriés en fonction des communautés segmentées en Groupes. Et ceci pourrait représenter une gymnastique complexe si on jongle avec plusieurs Groupes dont certains pourraient aussi s’avérer des candidats pour le même message.

2. La perte de la mixité sociale. On dira que la mixité sociale se maintient dans le fil de discussion général mais celui-ci tendra à s’appauvrir si plusieurs contenus sont désormais réservés et répandus exclusivement à travers les Groupes. L’attention pourrait également se déplacer vers les groupes. Cette semaine, je m’intéressait déjà plus aux Groupes qu’à ce qui n’en faisait pas partie. Les avantages de la fragmentation des communautés, comporte un risque de replis et pourrait compromettre les effets avantageux des mélanges, du butinage social, de la sérendipité que favorisent les grandes tribus en désordre.  Pour le moment, j’ai l’impression d’avoir réunis ceux qui comptaient, dans mon contexte professionnel, et ceux pour qui je faisais principalement  de la veille. Pour les autres,  je dois repenser ma stratégie car je vois mal en ce moment comment gérer l’hétérogénéité de mon compte qui ne s’en trouve, après cette réorganisation sociale, que plus accentuée.

En bibliothèque, les dispositions des Groupes ne se prêtent pas seulement à des usages de nature inter-professionnelle. Les possibilités associées aux Groupes destinés aux usagers apparaissent généreuses et prometteuses: que ce soit pour informer des clientèles particulières, pour accompagner des programmes, des activités, l’inévitable club de lecture, ou encore pour soutenir des projets ponctuels. Les projets pilotes de prêts de livres numériques (contenant et/ou contenu) que l’on voit émerger dans différentes bibliothèques pourraient bien être mis en commun et supporter au moyen d’un Groupe qui relaie les questions, les commentaires et les évaluations des utilisateurs. C’est un nouveau territoire à explorer pour la médiation numérique.

| L’image provient d’une oeuvre présentée à la BAnQ dans le cadre de l’exposition Architectures en vers jusqu’au 31 octobre |

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