Le contexte est connu. Comme c’est le cas pour moult pratiques culturelles, la dématérialisation du livre est inévitable. Les médias sont très bavards sur le sujet: Kindle, Sony, iPad, les supports de lectures numériques font les manchettes. En France, où une étude du CNL a récemment été publiée et sur laquelle je m’appuierai, faute de données plus locales, on dit que 50% des Français ont entendu parler du livre numérique. En revanche, le public du livre numérique compte pour 5% de la population française quoique 30 % d’entre eux se disent prêts « à lire des romans » sous cette forme.
La numérisation du livre est, contrairement à la musique, plus hésitante car le marché s’égare entre l’oeuf et la poule : d’un côté, les supports sont chers, se cherchent, se chercheront tant qu’ils ne seront pas tous connectés (leur destin : être connectés ou disparaître – est-ce que François Bon n’a pas déjà dit ça dans les mêmes termes ?!?), et de l’autre, une offre éditoriale qui est chiche, ce qui n’encourage pas les acheteurs de livrels-liseuses. Et comme les utilisateurs de dispositifs de lecture dédiés sont rares (0,25% des Français), la pression sur les éditeurs pour augmenter l’accès aux oeuvres n’est pas insupportable.
Mais, on sait bien, suivant la logique de l’hyper-mobilité, qu’à plus ou moins court terme, l’accès rapide, immédiat et quasi illimité aux ressources, l’accès qui est plus simple pour l’utilisateur est quête d’autonomie, tout en étant enrichi par le multimédia, qui sera éventuellement moins coûteux, vont fonder l’appareil des raisons qui viendra à bout de la plupart des résistances.
L’énoncé du problème est relativement transparent : comme la mission des bibliothèques consiste à donner accès gratuitement à l’information et au savoir qui se définissent désormais sous le mode de l’accès et de l’objet numériques, et puisque les supports numériques sont actuellement proposés à des prix prohibitifs pour la très grande majorité des gens, et puisque les ressources numériques sont aussi onéreuses et largement méconnues, et puisqu’il existe un public potentiel qui manifeste son intérêt et qui est disponible pour expérimenter le livre numérique, les conditions sont favorables pour qu’un élargissement de l’offre de services qui répondent à ces enjeux soit scellé.
À ce titre, on considère que la solution réside dans le développement d’un service gratuit recourant à des livrels, liseuses, ou autre dispositif de lecture et à des contenus numériques en bibliothèques.
À l’occasion du Jour de la terre, j’associe également cette solution à une initiative participant du développement durable entendu, depuis le rapport Brundtland, comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Ainsi, l’accès au savoir, comme la santé et la qualité de vie, l’équité et la solidarité sociale, etc. suivant les principes de la Déclaration de Rio, est un des domaines d’intervention de ce développement en phase avec les collectivités territoriales et l’environnement.
La bibliothèque, comme acteur local qui appartient à et favorise l’émergence de la communauté territoriale (j’en ai déjà parlé ici), est appelée à prendre part à l’élaboration de projets territoriaux. Or, les projets visant à offrir un service de lecteurs numériques pour permettre aux citoyens l’accès au savoir, relèvent bien d’une stratégie de développement durable.
Il est entendu que, dans une perspective sociale plus large, les bibliothèques constituent la plate-forme idéale pour permettre à TOUS de découvrir, d’explorer, d’expérimenter les supports et les oeuvres numériques et pour promouvoir ces nouveaux dispositifs dont dépendent à chaque jour un peu plus l’économie du livre aussi bien que la société du savoir et de l’information. Ce zeitgeist confirme encore une fois le potentiel de la bibliothèque comme moteur de transformation sociale des collectivités territoriales, et comme dans le cas présent, on parle d’une transformation fondamentale qui implique la culture du livre, l’intervention et l’impact de cette institution sont appelés à être d’autant plus stratégiques.
Et pour mieux visualiser la société du savoir et de l’information, dont la bibliothèque est l’instrument, mais qui est un concept relativement abstrait, on peut se représenter un marché composé de beaucoup plus de lecteurs, et notamment de consommateurs de livres, peu importe le format. Chacun risque d’y trouver son compte.
En d’autres termes, le mouvement vers la numérisation du livre et l’accroissement de la communauté des citoyens-lecteurs numériques pourraient s’accélérer de façon significative si les bibliothèques sont impliquées et s’engagent dans le processus. Cette accélération ne serait pas le résultat de la seule mise à disposition gratuite, sur une grande échelle, des supports et des oeuvres numériques. Cette accélération serait essentiellement supportée par le fait que les bibliothèques peuvent tenir lieu de facilitateurs facilitatrices dans l’introduction de ces technologies car elles prennent en charge la médiation des ressources, des documents, des outils qu’elles offrent au public, sous le mode de formation, par exemple. Qu’on l’appelle « alphabétisation technologique », « littéracie de l’information », »formation à l’information », le mandat d’accompagner les publics plus ou moins connectés, d’assurer l’empowerment des citoyens en marge de l’internet, de réduire la facture et la fracture numérique, tous ces services ont été prévus et inscrits par l’Unesco dans l’agenda des bibliothèques (voir la Proclamation d’Alexandrie).
En ce sens, on peut saluer une initiative toute récente, celle de la bibliothèque publique de Sainte-Julie, en banlieue de Montréal, qui propose depuis la semaine dernière un Sony reader à ces usagers sur lequel des titres comme Twilight et Madame Bovary ont été téléchargés.
Par ailleurs, je n’insisterai pas nécessairement sur le fait que les projets destinés à présenter des livrels-liseusese aux lecteurs contribuent à réduire l’utilisation du papier. Par exemple, dans le cas bien connu et documenté de l’E-reader Pilot Program de l’Université Princeton, on a fortement insisté sur cette hypothèse environnementaliste pour conduire le projet. Ce n’est pas clair du tout que les supports de lecture soit une panacée d’un point de vue environnemental : il y a un os ici qu’on ne pourra pas toujours ignorer.
Dans les prochains billets, je présenterai un inventaire sélectif de programmes de prêts de livrels-liseuses/lecteurs (finira-t-on par fixer la terminologie en même temps que le support !) en bibliothèques dont j’ai fait la cueillette ces dernières semaines grâce à la générosité de mon réseau social.
*L’image Bright, sous licence creative commons, provient de la galerie de Yersinia sur Flickr
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