L’exposition « Ne les laissez pas lire : Polémiques et livres pour enfants » à la Bibliothèque nationale de France (BNF), sur le site François-Mitterrand, vaut amplement le détour. Si, si, je vais jusqu’à suggérer que l’exposition mérite le voyage jusqu’à Paris pour ceux et celles qui le pourraient. Du 17 septembre au 1er décembre 2019, la BNF, premier lieu de conservation des livres pour l’enfance et la jeunesse de France, propose de découvrir un vaste registre de livres pour enfants et de bandes dessinées que les raisons religieuses, morales ou politiques ont voulu, d’hier à aujourd’hui, soustraire aux regards des enfants :
Interdits, censurés, critiqués, par des particuliers, des institutions, des associations, des groupes politiques, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, les livres pour la jeunesse qui ont suscité des polémiques, du début du XXe siècle à nos jours, sont nombreux. Quels sont-ils, en quoi sont-ils révélateurs d’une vision de l’enfance et d’une société face à ses tabous ? Jusqu’où doit aller la protection de l’enfance ? Où s’arrête la liberté d’expression ? Autant de questions que soulève cette exposition en présentant quelque 120 publications ayant fait débat : elle invite à explorer l’histoire de la littérature pour enfants sous l’angle des controverses et de la censure, à l’occasion des 70 ans de la loi du 16 juillet 1949 qui encadre encore aujourd’hui le travail de toute l’édition pour la jeunesse. (Communiqué de la BNF)
Le travail exceptionnel de curation permet de retracer les polémiques qui entourent ces oeuvres dans leur contexte d’origine avec les argumentaires pour ou contre de même que les courants de la littérature jeunesse qui ont jalonné le siècle. La relation au corps est un fil rouge dans l’exposition révélant en même temps les évolutions dans le contrôle que les adultes entendent exercer sur celui-ci et qui traduit une certaine conception de l’enfance.
On apprend notamment qu’un des plus virulents détracteurs du livre jeunesse et apôtre de la loi du 16 juillet 1949, l’abbé Bethléem, a publié en 1904 un ouvrage, Romans à lire et romans à proscrire, sorte de guide de lecture pour accompagner les braves familles catholiques à distinguer les « bons » et les « mauvais » livres. Or, cette publication connaîtra un succès de librairie considérable en France aussi bien qu’au Québec et sera l’objet de plusieurs rééditions. Certains titres de la collection Coup de poing qui s’est développée à partir des Bibliothèques de Montréal depuis quelques années figurent aussi dans le parcours.
Les bibliothèques, filles des Lumières, sont inévitablement impliquées dans ces polémiques et ces joutes ténébreuses quelles que soient les époques comme les nombreux exemples cités nous le rappellent, avec les pressions politiques qu’elles subissent, la défense et la promotion qu’elles organisent, mais aussi les doutes et les questionnements de la société dont elles se font l’écho.
Dans son rapport d’activité 2018, la BNF souligne que l’une de ses missions est « [r]endre accessible au grand public le savoir et la connaissance, mettre en valeur les collections et leur actualité, découvrir leurs richesses et leur rareté » et que les expositions jouent un rôle essentiel à ce titre. La BNF a présenté dans le cadre de sa programmation culturelle 13 nouvelles expositions temporaires sur ses sites en 2018. Cette dernière exposition « Ne les laissez pas lire » pourrait devenir un très beau projet pour l’espace d’exposition en sursis de la Grande bibliothèque/BAnQ qui raviraient les fervents et les ferventes de la littérature jeunesse et de la littérature illustrée qui n’auraient pas l’occasion de faire le dit détour.
Votre commentaire