
Je partage un texte qui m’a été demandé à quelques reprises récemment et qui est accessible ici :
Martel, M. (2017). Le design du « care » en bibliothèque : du tiers lieu au lieu d’inclusion sociale. I2D – Information, données & documents, volume 54,(1), 52-54. https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2017-1-page-52.htm.
« Bad Libraries build collections. Good libraries build services. Great libraries build communities » – David Lankes
Les bibliothèques publiques ont évolué en accéléré depuis l’apparition du modèle de la bibliothèque tiers lieu. La première génération de bibliothèque tiers lieu s’inspirait des cafés pour mettre en place un dispositif de convivialité et de conversation démocratique en rupture avec l’image traditionnelle de « l’entrepôt de livres ». La seconde génération correspond au modèle de la bibliothèque communautaire (« community-led-library »). Cette vision à échelle humaine trouve sa réalisation dans les bibliothèques de quartier où l’on multiplie les espaces sociaux : salle communautaire, salle d’activités ou de travail collaboratif. Ces bibliothèques repoussent les limites de la participation des usagers en intégrant des laboratoires de créativité (« fab lab », « medialab », « makerspace », etc.).
Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de proposer des espaces de créativité, mais d’engager les citoyens dans des démarches participatives visant à co-créer de nouvelles bibliothèques, de nouveaux espaces ou services.
Des projets inspirés de l’approche design
Alors que peu d’appels aux citoyens ou de consultations avaient eu lieu au cours de la programmation des premières bibliothèques issues du programme RAC (Rénovation, agrandissement et constructions de bibliothèques) mis en place par la Ville de Montréal en 2008, un virage s’opère à partir de 2013. Plus d’une dizaine de projets participatifs inspirés de l’approche design (« design thinking ») se succèdent entre 2014 et 2016, échelonnés souvent sur plusieurs mois, avec la participation de plus de 500 citoyens dans dix arrondissements [1] La démarche menée à l’été 2016 pour concevoir avec les usagers le projet de la nouvelle bibliothèque St-Sulpice s’ajoute à ce tableau. D’autres initiatives sont prévues pour l’année 2017.
Le plan stratégique 2016-2019 des Bibliothèques de Montréal soutient désormais explicitement l’innovation par le biais de l’approche design, tout comme le plan d’action « Montréal, ville intelligente et numérique » qui veut faciliter la mise en place de laboratoires d’innovation publique en bibliothèque.
Changer le monde, une bibliothèque à la fois
Comment en est-on arrivé là ? La réponse mériterait à elle seule un article… Contentons-nous de dire qu’il fallait changer nos manières de faire pour construire les nouvelles bibliothèques du XXIe siècle. Ce point de vue était généralement partagé au Canada depuis 2007 et le choc du rapport Working Together (WT, en français : « Planification en collaboration avec la communauté »), l’un des premiers référentiels sur la participation dans le milieu des bibliothèques [2] L’approche design a alors été sollicitée de différentes manières dans les bibliothèques de Montréal (laboratoires vivants, cercles d’apprentissage, etc.), mais c’est dans les avant-projets des nouvelles bibliothèques que son impact a été le plus significatif. L’enjeu de l’acceptabilité sociale est un motif explicitement invoqué dans les chartes de projet, dans le discours des équipes projet comme dans celui de l’administration.
Les méthodes de codesign, avec l’accompagnement de praticiens et de chercheurs en innovation sociale, sont devenues les ressorts les plus puissants des avant-projets des nouvelles bibliothèques. Elles permettent d’ouvrir, d’activer et de « bousculer » un système typiquement bibliocentré.
Les ateliers participatifs associant personnel et usagers contribuent à trouver un point d’équilibre entre innovation et gestion du changement. Ils visent également à améliorer l’expérience usager, à intervenir collectivement sur les problématiques sociales en lien avec la littératie, le décrochage scolaire, le chômage, l’environnement, et à offrir des critères de design et de validation pour les principales fonctions participatives (apprentissage, sociabilité, créativité). À la façon d’un révélateur identitaire, elles explorent aussi avec une acuité particulière les conditions susceptibles de favoriser un sentiment d’appartenance.
Les obstacles systémiques qui freinent l’accès à la bibliothèque sont mis en évidence afin de favoriser non seulement la participation créative des citoyens, mais aussi leur inclusion sociale. La création de biens communs fait l’objet d’une attention particulière en lien avec les projets de laboratoires tels que les fab labs, médialabs, makerspaces, ruches d’art, etc. en bibliothèque. Ces scénarios s’ajoutent aux réflexions sur l’exclusion/inclusion en abordant la gouvernance dans une perspective critique.
De l’approche design au design du « care »
Jusqu’ici, nous avons évoqué « l’approche design » des bibliothèques de Montréal en suggérant que ce terme était une traduction de « design thinking » mais les sources d’inspiration sont multiples et plus vastes : le design thinking d’Ideo, mais aussi le design des politiques publiques de La 27e région (notamment le travail réalisé pour la médiathèque de Lezoux), l’approche Art of Hosting appliquée par Percolab et Communautique, l’approche Living Lab d’Ennoll pour n’en citer que quelques-unes.
La plupart des démarches ont été conduites dans le giron du laboratoire Design et société de l’université de Montréal, spécialisé dans le design social. Stéphane Vial propose de définir le design social comme « la branche du design concernée par le développement de produits et de services visant à résoudre des problèmes sociaux, par exemple, le chômage, le décrochage scolaire, les tensions interculturelles, l’obésité, ou le changement climatique » [3]Avec cet accent mis sur les problématiques sociales et sur l’intérêt général, le design social rejoint l’approche canadienne WT.
Les démarches participatives recherchent toujours des moyens pour aborder les enjeux de l’exclusion et de la vulnérabilité. Le design social présente l’avantage d’aller au-delà du simple diagnostic en invitant les citoyens à imaginer eux-mêmes des solutions. Il partage avec l’approche WT un souci pour autrui, une réflexion sur la responsabilité et la compétence à assumer à l’égard de ces enjeux, et la recherche d’une réponse adaptée. Ces caractéristiques les relient à l’éthique du « care » qui se fonde sur la capacité humaine à prendre soin, à travailler avec les autres, à valoriser les relations à travers des pratiques qui favorisent l’attention, la responsabilité, l’exercice d’une compétence appropriée, la recherche d’une réponse adaptée à la situation d’autrui, l’entraide [4]
Une trousse à outils pour le design du care
Le design du « care » est un croisement entre le développement communautaire issu de WT et le design social qui met l’accent sur les enjeux liés à l’exclusion et à la vulnérabilité. Le travail réalisé à Montréal a permis de constituer les bases d’une méthodologie pour le design du care qui s’est développée à l’épreuve du terrain. […]
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