Le grand Congrès 2017 de l’American Library Association (ALA) fait d’un projet de transformation, son thème, Transforming Our Libraries, Ourselves. Jour 1 : Une pré-conférence sur les fondements de l’inclusion et de la diversité dans une perspective de justice sociale. #ALAAC2017
Je débarquais hier à Chicago pour cet atelier intensif après avoir passé le début de la semaine sur les bancs de l’école d’été : Pratiques et politiques en contexte interculturel (avec Bob W. White, Lomomba Emongo, Danielle Gratton au programme). L’un des apprentissages clé de ce cours consiste à développer une meilleure compréhension de la pensée pluraliste et des trois types de discours sur la diversité, la discrimination et le dialogue qui la fondent. Cela m’a permis de reconnaître, assez vite, que les préoccupations de mes collègues américain.e.s étaient fondamentalement orientées sur les questions de discrimination avec un regard oblique sur la diversité – mais alors on l’invoque surtout lorsqu’il faut se donner un peu de répit dans la lutte contre les inégalités, ou pour ne pas heurter ceux ou celles qui ne veulent simplement pas, ou ne veulent plus, aborder ces enjeux de front.
L’atelier était organisé par le ALA Office for Diversity, Literacy, and Outreach Services (ODLOS). Selon son énoncé de mission, ce bureau :
appuie les bibliothèques et les chercheurs en sciences de l’information en créant des espaces responsables et inclusifs qui servent et représentent l’ensemble de la communauté. Pour ce faire, nous décentrons le pouvoir et les privilèges en facilitant les conversations autour de l’accès et de l’identité qui ont une incidence sur la profession et ceux que nous servons. Nous utilisons un cadre de justice sociale pour informer [et soutenir] le développement des ressources des bibliothèques et des sciences de l’information. Nous nous efforçons de créer une culture d’association où ces préoccupations sont intégrées au travail quotidien de tous.
Il faut savoir que l’ALA accorde, depuis cette année, une importance nouvelle à l’Équité, la Diversité et l‘Inclusion qui forment ensemble l’une des quatre orientations stratégiques de l’Association, ainsi que le rappelle Julie B. Todaro dans son mot d’introduction aux participant.e.s de #ALAAC2017.
La justice sociale, comme cadre de référence, est certainement un des courants majeurs de l’approche des bibliothécaires américain.e.s et de la manière dont ils.elles traduisent leurs valeurs et la signification de leur travail au 21e siècle. David Lankes (2016) ou De La Pena McCook (2007, 2011) y référent en ces termes dans leurs ouvrages d’introduction en bibliothéconomie, des webinaires , des initiatives, des conférences sont aussi conçues pour soutenir ces idées.
Lors de l’atelier du matin, la responsable, Anne Phibbs, a explicitement abordée la question de la justice sociale en la reliant à celle de nos identités à partir d’une conférence TED (Bryan Stevenson). On ne peut pas, de ce point de vue, s’engager à promouvoir la créativité, la technologie, l’innovation, la culture, comme on s’y adonne, en ce moment, dans les bibliothèques, sans que ce parti pris ne soit assombri par la souffrance, la pauvreté, le racisme, la marginalisation qui nous entourent et qui contribuent à faire ce que nous sommes collectivement. Ces conditions d’oppression menacent notre identité puisqu’elles serviront de repères pour nous juger, comme institutions et comme société; elles diront ce que nous sommes à moins d’y répondre par davantage d’humanité, de compassion, de justice dans nos vies et notre travail. #librariesrespond
Cette séance au-delà de la diversité 101 abordait également les biais (conscients ou inconscients), les préjugés, l’oppression, le pouvoir, les privilèges, les micro-agressions et les micro-équités – avec un débat sur le préfixe micro- et la banalisation qu’il suggère vis-à-vis un processus de stigmatisation des personnes qui s’accumule sur des semaines, des mois, des années, une vie.
Une initiative stratégique appuyant la diversité peut prendre la forme d’une posture d’allié qui « dépasse la honte, la culpabilité, le blâme, et travaille à comprendre la manière dont les privilèges fonctionnent dans sa vie, de même que la manière dont les « autres » marginalisés sont perçus à travers des stéréotypes et des mythes culturels ». (Anne Phibbs)
Un motif récurrent consistera à dire que nous avons en commun une histoire de divisions profondes et qu’il est illusoire de penser qu’il sera possible de se diversifier ou de célébrer la diversité sans une pratique de centration, sans regarder en arrière, sans authentiquement assumer cette connection avec nos sources socio-culturelles et notre passé.
Un atelier sur le design universel a complété l’exercice dans l’après-midi avec des recommandations concrètes en matière de stratégies de communications inclusives.
Si je tente à vif de situer l’approche et la pratique québécoises dans les bibliothèques – mises en relief à l’aide de certaines notions discutées à l’école – en regard des signaux perçus aujourd’hui au #ALAAC2017, je proposerais les éléments suivants :
- Le discours sur la justice sociale n’a pas encore trouvé d’écho dans le milieu des bibliothèques au Québec. Le Rendez-vous des bibliothèques publiques 2017 s’en approchait à travers les thèmes choisis : diversité, accessibilité, inclusion.
- Ce discours s’avère, en revanche, un levier solide pour formuler une intention et définir une stratégie cohérente. Il permet d’initier les conversations en renouvelant le discours sur l’accès, les inégalités, les responsabilités et les compétences mises en oeuvres par les professionnel.le.s auprès de divers groupes : groupes racisés, historiquement défavorisés, discriminés en fonction de leur identité sexuelle, de leurs genres et leurs expressions, de l’âge, de la religion, des handicaps, en fonction de la nationalité ou de la langue, du statut socio-économique, des vulnérabilités, qu’ils/elles soient immigrantes, réfugiés, etc.
- Comme au Canada, pour nos voisins du sud, le projet est multiculturel, ou il n’est pas.
- L’approche interculturelle, revendiquée au Québec, qui favorise le dialogue et une compréhension patiente (herméneutique) avec la recherche d’une nouvelle solidarité, n’est pas apparue comme une option qui semblait disponible pour cette assemblée américaine. Comme on le disait plutôt, il est question de discrimination et de diversité, mais l’on n’a guère évoqué l’aménagement de conditions pour l’écoute et le dialogue dans un horizon d’attente. Le sentiment d’urgence qui résulte du contexte politique immédiat conforte possiblement ce choix pour la lutte.
- Les questions coloniales semblent exercer une fascination au Québec qui n’a pas d’équivalent chez les librarians.
- L’approche américaine serait-elle individualiste ? Le titre de l’atelier est suggestif à cet égard en interpelant la responsabilité des individus : Everybody’s Everyday Work: Diversity and Inclusion Foundations. Le modèle interculturel québécois se conçoit selon une approche systémiste.
- Les réflexions sur la gouvernance et le pouvoir de la communauté dans la bibliothèque sont assez timides, ici comme ailleurs, alors qu’elles sont au coeur des analyses et des moyens d’agir sur la situation des villes et du monde aujourd’hui. #designsocial #transform
- La célébration de la diversité, de par et d’autres, fabrique un quilt de solitudes où les traces d’interculturalités ne semblent pas désignées et, forcément, pas valorisées. La célébration est-elle vraiment célébrée? Il y a du monde au rendez-vous, mais la fête est à quelle heure ?
- De part et d’autres, la célébration de la diversité échoue à faire une place qui inclue vraiment les Premières Nations. On disait aujourd’hui que la diversité « was all black and white ».
- De part et d’autres, on retrouve cette conviction que l’on ne pourra pas avancer sans accepter de faire un retour sur l’héritage culturel commun, avec un projet de narration négocié et partagé, même si ça promet de ne pas être nécessairement joli.
À demain, au programme du jour 2 : Project Outcome Workshop: Simple Tools to Measure Our True Impact on the People We Serve, de 9h à 16h.
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