Pas le droit de faire ce qu’on veut avec le domaine public? Au cours d’un atelier sur l’iconographie à BAnQ où l’on présentait des documents dont la pauvre carcasse de papier remontait parfois au 17e siècle, on m’a interdit de publier les photos que j’avais prises des trésors exposés. N’est-ce pas un parti pris fort discutable que celui qui consiste à revendiquer des droits d’auteur sur les oeuvres du domaine public? A fortiori lorsqu’il s’agit d’une institution patrimoniale comme la bibliothèque nationale? Et pourtant, c’est cette approche que BAnQ semble adopter à l’égard du domaine public québécois et de l’usage qu’elle prescrit aux citoyens.
En congé ce jour-là et bibliophile à mes heures, j’étais inscrite à un atelier d’iconographie documentaire permettant de se familiariser avec les imprimés anciens à partir des exemplaires originaux de livres, de gravures, de feuilles volantes, etc. C’était aussi l’occasion d’apprendre le vocabulaire descriptif propre au domaine puis d’aborder les questions de conservation liées à ces précieux items. Les exemplaires choisis et tirés de la réserve pour les participants étaient fascinants. La compétence et la passion communicative de la bibliothécaire qui animait cette activité l’étaient tout autant.
En revanche, j’ai été très étonnée qu’on me prévienne à la fin de l’exercice de ne pas publier les photos que j’avais prises (sans flash bien sûr) de ces imprimés tombés depuis des lustres dans le domaine public. Comme j’ai argumenté que cette mesure était totalement déplacée dans le contexte où il s’agissait d’oeuvres du domaine public, on m’a répondu qu’on allait acheminer ma demande et vérifier si celle-ci était recevable.
J’ai reçu quelques jours plus tard un avis favorable disant que « [a]près vérification, il n’y a pas de problème pour diffuser sur votre blogue à des fins éducatives, les photographies de livres anciens que vous avez prises lors de votre dernière visite… » On me demandait du même coup de bien vouloir indiquer que « ces ouvrages sont tirés des collections de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. » Merci pour la réponse, mais il me semble que, de fait, il y ait un problème. Cette autorisation comporte des ingrédients qui sont susceptibles de faire croître encore d’un cran la perplexité des usagers au lieu de l’apaiser.
Comment à des fins éducatives? De quel droit peut-on limiter l’usage du domaine public à des fins éducatives sinon en considérant que les documents en question sont soumis aux prérogatives du droit d’auteur auxquelles, dans ce cas-ci, une exception éducative est consentie par les ayants-droits?
Laissons faire les gants blancs que l’on porte habituellement pour manipuler ces imprimés fragiles: Je vois mal pourquoi je ne pourrais pas utiliser l’image de la page de titre de l’Astronomia Instaurata de Copernic – qui date de 1617 et dont c’est incidemment le 400e anniversaire en 2017 – pour en faire des tee-shirts ou des condoms décoratifs, si je le voulais, indépendamment de toutes visées éducatives?
Les citoyens pourraient avoir du mal à suivre ces limitations, c’est mon cas, il faudrait expliquer le rationnel des privilèges exclusifs dont cette institution semblent disposer sur le domaine public.
On a déjà questionné le fait que certaines institutions patrimoniales, à la manière d’une entreprise privée, puissent numériser les oeuvres pour négocier ensuite l’accès du public en revendiquant un droit d’auteur/droit d’usage sur les copies numériques qu’elles créent à partir du domaine public et en introduisant une barrière tarifée. On peut argumenter qu’il faut bien payer pour la numérisation mais, pour le moment, ces raisons ne pourraient pas être invoquées pour justifier le contrôle que l’on exerce. « Tous ces livres » sont à toi disait naguère BAnQ, on pourrait espérer que la jolie phrase trouve une signification un peu plus littérale en ce qui concerne le domaine public.
Nombreuses sont les institutions dédiées à l’héritage culturel qui ont franchi le 21e siècle avec leurs usagers et qui ont compris que leurs collections et leurs trésors bénéficiaient largement en termes de visibilité et de narratif en tirant parti des médias sociaux. Grâce aux efforts promotionnels gratuits des adeptes, des fans et des passionnés qui composent leur public enthousiaste, les oeuvres sortent des voûtes, de l’obscurité et tout cet appareil si peu démocratique. Le Musée des Beaux-Arts de Montréal est un exemple vivant de cette ouverture et de cette manière nouvelle d’accueillir et d’engager les publics en leur permettant de photographier les oeuvres du domaine public.
L’exemple le plus frappant de cette démocratisation et de cette célébration très actuelle du domaine public est sans doute celui Rijks Museum. Ce musée diffuse, depuis 2012, en haute définition une collection de ses œuvres du domaine public qui sont numérisées (plus de 150 000) pour un usage libre : « for anyone to view, download, copy, remix, print and use for any purpose they can think of ». Cette ouverture sans restriction est même encouragée à l’aide d’un concours qui récompense les initiatives les plus créatives à partir du domaine public. Le blogue d’Europeana a publié assez récemment (2014) une étude de cas qui s’intitule Democratising The Rijks Museum sur le sujet où l’on peut lire :
The museum has been really satisfied with the results of this move. They believe that their core business is to get people familiar with the collection and the museum. By making the images available without copyright restrictions, their reach has extended exponentially and far beyond their own website. The material is now for example being shared and used widely in all kinds of online platforms such as Wikipedia or educational websites. – See more at: http://pro.europeana.eu/blogpost/how-the-rijksmuseum-opened-up-its-collection-a-case-study#sthash.Vh6hyPmf.dpuf
C’est une lecture qui fait réfléchir et que je recommande sans hésiter.
Répondre à Réjean Savard Annuler la réponse.