Mystification et contrefaçon dans la maison des livres

La bibliothèque est une chose fascinante que l’on aime bien utiliser comme métaphore pour déjouer l’idée de la littérature ou du savoir. Borgès ne s’en est pas privé. Bien d’autres récits alimentent le mythe de la bibliothèque en tant que ce lieu mystérieux, occulte, labyrinthique où loge la connaissance à l’enseigne de la raison comme de la déraison. En visitant l’exposition Logotopia à BAnQ, j’ai ajouté l’histoire étrange du Comte du Forstas, tissé de vrai et de faux, à mon répertoire de la bibliothèque en folie.

En août 1840, venus de partout en Europe, des collectionneurs et des libraires accoururent dans le but d’assister à un encan dans la ville de Binge en Belgique. Ils avaient reçu auparavant un catalogue décrivant la collection extraordinaire du Comte de Forstas qui était exclusivement constituée de livres existant seulement sous la forme d’un exemplaire unique. Au moment de la mort du Comte, en 1839, cette bibliothèque dont ses héritiers avaient décidé de se départir, rassemblait 52 volumes dont la rareté et l’intérêt exceptionnel faisaient saliver les collectionneurs.

Les bibliophiles qui se présentèrent le jour de l’encan finirent par découvrir que la rue où cette affaire devait se dérouler n’existait pas, que le notaire qui devaient orchestrer la vente historique n’était connu de personne, pas plus que ne l’était le Comte de Forstas. Sur l’entrefaite, les bibliophiles confondus apprirent que la collection ne serait pas vendue aux enchères car elle venait d’être acquise par la bibliothèque publique de Binge. Impatients de contempler ce trésor, ils décidèrent de se rendre dans le nouveau lieu destiné à l’abriter mais pour réaliser enfin que…la ville de Binge ne disposaient pas de bibliothèque publique. Les pauvres finirent par comprendre qu’ils avaient été victimes d’un canular, d’une mystification soigneusement planifiée par Renier-Hubert-Ghislain Chalon. Ce savant, à l’humour extrême, s’est fait un nom comme auteur de la supercherie et du catalogue de la collection contrefaite qui est considéré comme un monument d’érudition:

Chalon, Renier Hubert Ghislain (1840). Catalogue d’une très-riche mais peu nombreuse collection de livres provenant de la bibliothèque de feu M.r le comte J.- N.-A. de Forstas. Mons: Typographie d’Em. Hoyois, Libraire.

Comme, on le suggère ici, les bibliophiles n’ont pas tout perdu dans cette histoire puisque ce catalogue de livres imaginaires est devenu un objet de collection fort recherché et réédité à plusieurs occasions:

« The Fortsas Hoax has remained a favorite of bibliophiles since its inception. Following the publication of the scarce first edition in August 1840, there were at least four separate editions printed during the nineteenth century and there have been a number of twentieth-century private press editions. The combination of elaborate hoax, insider bibliophilic humor, and a bibliographic puzzle with the catalog itself has helped stimulate a lasting interest in the Fortsas hoax »(The Forstas Hoax, Specials collections, Delaware University)

On peut voir l’exposition Logotopia, qui est brillante, jusqu’au 27 mars à BAnQ. On ne peut pas y acheter le livre, Logotopia: The Library in Architecture, Art and the Imagination sur place, ni photographier les documents exposés sur la table bibliographique 😦 qui complètent le parcours mais, heureusement pour nous, ils ont été recensés sur Trouvailles. Je les voudrais tous, et le catalogue de Chalon aussi. Mais je suis une bibliophile en transition qui voyage de plus en plus léger et je me demandais : dans un monde de licences, sur le territoire du numérique, est-ce que l’on peut encore imaginer des collectionneurs et des bibliophiles? Si oui, dans quels habits? Quelles seront les nouvelles formes de la rareté et de la contrefaçon? Des questions comme ça qui me flottent dans la tête.

Une des pistes ? J’ai trouvé sur LibraryThing, un profil pour le Comte de Fortsas (écrit « Forstas ») où il raconte son histoire. Mais ce n’est pas tout, le collectionneur a entré dans sa bibliothèque, je le répète, sur LibraryThing, le catalogue complet de ses livres imaginaires. Il est de retour.

2 réponses à « Mystification et contrefaçon dans la maison des livres »

  1. Contrefacon!!!!!

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