Eran muy grandes vientos sobre todas las faces de este mundo.
Muy grandes vientos alacres por el mundo, qui no tenian nido yacija,
Que no tenian guarida ni medida, y nos dejaban, hombres de paja,
En el ano de paja en si deriva… !Ah, si muy grandes vientos sobre todas las faces de vivientos!
| Vientos, St-John Perse, version espanola, Jorge Zalamea, 1960 |
C’étaient de très grands vents, sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre… Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
| Vents, St-John Perse, Gallimard, 1960 |
Oui, ce sont de très grands vents qui nous étreignent, nous jettent, nous reprennent et nous laissent, las, en dérive.
J’ai reçu la semaine dernière ce livre-là, Vientos. Il est arrivé de Colombie, sorti du sac de voyage de quelqu’un qui m’est très cher, dans une édition rare, exemplaire 1360 sur 1400, en espagnol. Il est arrivé de très loin porteur d’un récit qui s’emmêle au poème-tempête de St-John Perse comme il était une fois…
Chaos épique, abîme, densité, choc des mondes, de l’outre-science aux mythes anciens déterrés, entre l’Idée et les éléments naturels, entre le raffinement extrême de la haute-culture et les frontières de l’indicible, St-John Perse raconte le vent, et c’est le langage même qui est ouragan. Dans cet excès de rafales, c’est le monde à bout de souffle, celui de l’après-guerre, qu’il pétrit.
Sur ces fresques démesurées qu’il déploie, ce sont les détails, des morceaux arrachés à la déferlante surréaliste, qui me font réagir, surtout les seuils qui marquent les transitions entre les différentes parties du poème, les élans, les sources. Le reste, je l’abandonne à son mystère en tirant plaisir du fait de savoir que ce mystère existe.
Plaisir et trouble car ce reste aussi du coin de l’oeil, je le surveille: son intimité avec les chemins heideggeriens : lutte entre monde, sol, terre, retours aux anciens, célébration du grand art/culture me trouble: « L’œuvre est en soi un dresser, au sein duquel un monde est fracturé (erbrechen) et tenu à (stellen) séjourner en tant qu’on l’a ouvert (eröffnete) » ou « Parce que l’art, en tant que poème, est une institution et un fonder projetant, il doit instituer et placer l’être-ouvert, i.e. la vérité, de telle manière qu’elle vienne se tenir dans ce que la terre et le monde se disputent en s’affrontant — et cela, c’est l’œuvre. La vérité n’advient que comme être-ouvert du Là, elle ne vient à l’œuvre que dans l’œuvre. » St-John Perse, par tous les mots aurait-il voulu éclairer, ériger en son mystère et son fracas, ce même projet de vérité totale que désigne l’homme de L’origine de l’oeuvre d’art…?
Exilé aux États-Unis en 1940, St-John Perse arrive à trouver un emploi à la bibliothèque du Congrès grâce au soutien de celui qui incarnait alors The Librarian, Archibald MacLeish, poète, associé à l’école moderniste et récipiendaire de trois prix Pulitzer. C’est à Washington que le diplomate déchu écrit Vents, qu’il dédie à Aragon et qui est considérée comme son oeuvre la plus achevée, celle qui, dit-on, lui a donné le Prix Nobel en 1960.
Au cours de ces années d’exil, St-John Perse rencontre Jorge Zalamea, un politicien et poète colombien, ami de Frederico Garcia Lorca. (Les pages de Wikipédia en espagnol sont les plus généreuses et avisées si on ne souhaite pas se tourner vers d’autres encylopédies). Vents devient en 1960, Vientos. St-John Perse, après avoir vu les traductions de Zalamea, en aurait vanté les mérites au point de dire que certains passages dépassaient l’original.
Zalamea est aussi réputé pour ses essais critiques dénonçant la dictature de son temps. Le fils de Zalamea, un autre écrivain, une autre voix, un autre écho contre la dictature, sera expatrié pour des raisons politiques. C’est par l’entremise de Fernando, le petit-fils, toujours écrivain, professeur de philosophie des mathématiques à l’Université nationale de Colombie à Bogota, que ce codex-au-trésor a traversé les Amériques jusqu’à Montréal.
Le poème de Zalamea est si intense, en son noir et blanc, si richement illustrée, vibrant toujours comme seuls savent le faire les poésies étendard de la résistance qui n’ont jamais peur de la mort mais ne savent pas mourir.
Par sa présence en tant que poésie visuelle, elle est autre. Elle est autre encore par ses fonctions stylistiques dans le contexte politique colombien qui l’a déplacé par rapport à son centre gravitationnel et qui lui a donné sa propre lumière, sa prophétie. 2010 représente le 50e anniversaire cette traduction et du Nobel obtenu par St-John Perse.
Mais vis-à-vis l’une de l’autre que sont ces choses, qui sont respectivement Vents et Vientos la traduite ?
Le concept d’immanence désigne les multiples façons dont une œuvre peut exister, consister en un objet ou en plusieurs objets, soit matériel, soit idéal, disait Genette (réédité en 2010). Les traductions côtoient l’oeuvre original et lui confère une pluralité d’immanence d’objets non identiques et concurrents. Vents est, à cet égard une oeuvre plurielle, en ce qu’elle immane en n objets d’immanence qui comprennent les objets de St-John Perse et de Zalamea.
Cette immanence plurielle concède une transcendance à l’oeuvre Vents, laquelle est entendue comme une manière « dont une œuvre peut brouiller ou déborder la relation qu’elle entretient avec l’objet matériel ou idéal en lequel fondamentalement elle ‘consiste’ ».
Les interprétations, l’appareil stylistique associé à une histoire de production constituent également une autre des modalités opératoires de la transcendance. Ainsi, la transcendance de Vents, au-delà de cette existence plurielle que lui a conféré les traductions de Zalamea, s’enrichit encore par l’apport des sédimentations stylistiques, des lectures et des interprétations que la résistance colombienne lui a insufflées.
Aujourd’hui, j’oserais proposer d’expérimenter Vents ou Vientos en fragments, par passages, dans les détails, dans ces purs moments de fulgurance plutôt qu’en traversant l’ensemble de cette mise en scène densément imprégnée de haut-lyrisme. Et du coup, à mon tour, je fais le pari de réinscrire cette oeuvre dans la trajectoire du web, dans le flux, offerte aux mondes possibles des interprétations, des langues diverses, des nouveaux projets d’écriture qui sont appelées à la gonfler encore dans l’agitation qui nous transporte ici, maintenant, car oui :
C’étaient de très grands vents, sur toutes faces de ce monde,
Muy grandes vientos alacres por el mundo, qui no tenian nido yacija,
Que no tenian guarida ni medida, y nos dejaban, hombres de paja,
En el ano de paja en si deriva… !Ah, si muy grandes vientos sobre todas las faces de vivientos!
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