Je vis dans l’arrondissement d’Outremont à Montréal.
Mais, on dit qu’il y a trois Outremont: celui de Ma chère (du côté des grandes résidences bourgeoises vers la montagne), le Kasher (celui des Hassidiques près du Parc Outremont) et le Pas cher (ça dit bien ce que ça veut dire, entre Bernard et Van Horne, pas loin du métro), mon coin. Comme on est tout à côté du quartier Mile-End, qui mélange le style vibrant funky urban au genre artsy and bohemian, ainsi que je l’ai déjà entendu, et que cette représentation a plus de chair, j’aurai plutôt tendance à dire que je vis dans le Mile-End adjacent, ce que les locaux arrivent très bien à situer.
Chaque samedi, j’arpente les rues pendant des heures et, chaque fois, je renoue avec ce plaisir secret qui tient beaucoup au fait de savoir pourquoi j’habite ici et depuis si longtemps. (D’autres aussi le savent qui ont le verbe haut comme la montagne).
Je me retire ici en ville dans ces quartiers qui sont le mien, qui n’en forme qu’un seul, d’un geste, en un seul contour que trace ma géographie subjective. Et juste là sur la même rue, il y a deux librairies que je vénère : la librairie d’Outremont dont je parlerai peut-être un jour à cause de Roland mon libraire adoré et Drawn & Quaterly.
En rentrant chez Drawn & Quaterly, c’est l’intoxication esthétique totale et la revanche définitive du complexe illustration-typographie-texte-papier d’autant plus troublant en cela qu’on ne sait plus à la fin si c’est l’auteur ou l’éditeur le grand artiste. Car D+Q est aussi une maison d’édition dont les collections sont étalées dans le commerce de la rue Bernard, un peu désordre, avec un négligé quasi étudié qui suggère l’abondance et la bonne humeur: une adresse pour les geeks, les aspirants au titre et les figurants.
Et j’en ressors en vacillant entre les couvertures des albums et cette question sur l’artiste ultime m’appuyant sur Fils complice, quoiqu’aussi vulnérable que moi dans ces circonstances. Mais lui ne reste pas longtemps encombré, il s’envole sur sa trottinette volante et je reste là avec mon trop-plein d’émotions, mes spéculations sur les acteurs du livre et leur avenir puis… les sacs.
Drawn & Quaterly est une maison engagée qui se consacre, suivant leurs propres dires, à la publication de la bande dessinée alternative avec une nette prédilection pour les oeuvres d’avant-garde qui sont dotés de qualités littéraires assumées. Cette boîte peut se targuer de reposer sur une écurie impressionnante : Lynda Barry, Chris Ware, Adrian Tonine, Chester Brown, Julie Doucet, Dan Clowes, Yoshihiro Tatsumi, Rutu Modan et Seth entre autres. Chris Oliveros, qui est fondateur de l’illustre maison d’éditions depuis 20 ans, s’active à partir de son bureau dans le Mile-End…
Samedi dernier, sur la table des meilleurs vendeurs, à la meilleure place, trônait Fun Home par Alison Bechtel, une oeuvre-culte, qui a les audaces dont on est friand dans ses murs. Les titres sont en anglais et en français à la mode de Montréal. J’y ai cueilli : Kaspar de Diane Obomsawin, traduit par une de mes voisines, Helge Dascher, puis deux oeuvres littéraires graphiques: The Principles of Uncertainty par Maria Kalman et Don’t get lonely don’t get lost par Elizabeth Belliveau.
Fils a choisi Nipper, un sans-texte avec des planches de 1963-1964, de Doug Wright, le grand cartoonist canadien, l’équivalent national de Charles Schultz, et Tuby de John Stanley, une sélection de cartoons réalisée entre 1954-1955, deux titres de D+Q. Je me suis quand même demandé quel genre d’intertextualité pouvait donner la lecture de ces récits nostalgiques avec des personnages ultra-débonnaires entre deux parties de World of Warcraft.
À propos de ce commerce, et dans les termes des intéressés de D+Q (qui n’existent qu’en version carton près de la caisse):
En 2007, Drawn and Quaterly ouvre son premier-et unique, magasin dans le Mile-End, une initiative immédiatement appuyée par la communauté. Spécialisée en arts, en bandes dessinées et en publications indépendantes, la Librairie D+Q stocke le catalogue de Drawn & Quaterly, ainsi que les publications des maisons de même sensibilité partout dans le monde. La librairie offre également au public, à l’année longue, des ateliers de sérigraphie, de gravure sur bois, de création collaborative et de bandes dessinées.
Nous avons pris cet album en photo pour ne pas oublier d’aller le chercher bientôt. Il s’agit d’une oeuvre créée par des auteurs indiens et publiée dans un maison d’édition à part, Tara Publishing, qui fait des livres hand-made. Nous avons lu auparavant des titres de cette boîte si bien que l’on ne s’en est pas remis. Il faut apprécier la facture psychédélique et l’art tribal.
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