L’automne passe vite et les arrivages s’y succèdent à un rythme assez peu serein jusqu’aux fêtes. Même si 2010 est arrivé, on peut encore lire les publications de 2009 sans trop de décalage et ce d’autant plus que le temps de la bibliothèque n’est pas celui de la librairie et du marché. Voici une courte sélection internationale, comme si c’était votre dernière chance, avez-vous lu… ?
->Trois femmes puissantes, de Marie Ndiaye (Gallimard). Prix Goncourt 2009, cette oeuvre se déroule comme un film sur le motif, en gros plan, de l’âme brisée, tantôt défaite par la violence des sentiments, tantôt rassemblée par la force de celles qui l’abrite. L’auteure suit avec une patience maniaque les chemins tortueux, les vertiges, les pulsations dans la conscience de ses personnages en pratiquant une archéologie complexe. Ils ont menti ceux qui ont parlé d’un Goncourt exclusivement politique, trop habitués à opérer à partir des mécanismes préférentiels favorables aux hommes blancs.
->La Convocation (Métaillé) ou -> L’homme est un faisan sur terre (Folio), de Herta Muller. L’écriture de Herta Muller est proprement fascinante. Qu’importe le récit, même si les enjeux sont tout sauf banals (la répression, la dictature, la liberté), ce sont les comportements des personnages observés comme des insectes, de manière à la fois méthodique et distante, avec une indifférence calculée (ou calquée sur le regard qu’on porte sur les individus dans un régime autoritaire), et la mécanique littéraire découpée au couteau avec des images durs, drus, éblouissantes qui lui valent ce prix Nobel de littérature 2009.
->Seul dans le noir de Paul Auster (Actes Sud). « Seul dans le noir, je tourne et retourne le monde dans ma tête tout en m’efforçant de venir à bout d’une insomnie, une de plus, une nuit blanche de plus dans le grand désert américain. » Un critique littéraire en peine meuble sa veille nocturne de fantaisies où il refait le monde, celui des américains. Qui suis-je moi, se demande August Brill, quel est mon poids, ma responsabilité dans le commandement des catastrophes et de mon existence…et si on réécrivait tout ? Roman d’enquête étrange, dont l’objet est métaphysique ou littéraire, ou les deux, en même temps qu’un roman allégorique sur la conscience américaine en détresse. Un des meilleurs de Paul Auster.
-> L’incendie du Hilton de François Bon (Albin Michel). Cette oeuvre est majeure mais la critique dans le Devoir ne l’a pas vu ainsi et en a largement sous-estimé le projet. Ce roman s’il en est un, raconte la fuite, pour vrai, des écrivains chassés du Hilton qui les recevaient pendant le Salon du Livre de Montréal en 2008. Cette nuit-là, l’empire du livre brûle, écrivains et non-écrivains se rebrassent et partagent les mêmes pavés, la littérature, sans-abri, questionne ses codes en errant à travers les sous-terrains désarticulés de la ville. Dans les corridors du texte, le récit déjoue la linéarité comme un réseau de tunnels sous la Place Ville-Marie, comme un proto-hypertexte, comme un réseau web. Se lit à partir de n’importe laquelle page. Un dossier prolonge l’oeuvre précisément là où la littérature s’en va.
->Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra (Grasset/Pocket), paru récemment en poche. Littérature extrême. L’écriture est pratiquée avec un art consommé, sans surprise, sans remise en question des conventions. Mais à ce confort s’oppose le récit bouleversant du jeune Younes et, à travers lui, celui des misères paysannes, de la colonisation algérienne et de ses violences, des amours et des amitiés métissés, des identités plurielles.
->La Route de Cormac McCarthy (Folio), vient de paraître en livre de poche. Et pourquoi pas, je dirai, comme plusieurs, que c’est le roman de la décennie même si je n’ai pas réussi à le finir. J’ai été incapable de gérer les sentiments contradictoires d’effroi et de délice que cette narration a réveillés. Voilà une oeuvre qui incarne le sublime dans le sens philosophique des penseurs du 18ième. On y ressent, avec une violence inouïe, à la fois la finitude de notre espèce et les limites de notre imagination à se représenter cet héritage post-nucléaire, informe et terrifiant. Et du coup, diraient ces philosophes, n’est-ce pas notre essence spirituelle, morale, humaine qui s’en trouve révélée à travers le sens que nous arrivons néanmoins à prêter à ces données qui nous dépassent ? Tant qu’il y aura un homme. Prix Pulitzer, Prix des Libraires du Québec/roman étranger.
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