
J’ai eu le plaisir de participer à l’exposition éphémère de l’Association québécoise des relieurs et des artisans du livre (AQRAL) qui s’est tenue le 18 mai. Ce rendez-vous, discret mais foisonnant, a mis en lumière la richesse des savoirs manuels, des matériaux et des récits, dans une fête du livre comme objet d’art et de transmission.

Chaque création exposée témoignait d’un lien engagé et amoureux avec la matière, la mémoire et le geste. Différentes techniques utilisées en reliure artisanale, reliure d’art, restauration, reliures modernes et créatives étaient représentées au cours de cet événement qui se déroulait à la Cité-des-Hospitalières.
Une reconnaissance bien méritée
Un coup de chapeau bien mérité à Catherine Savignac, qui s’est vu attribuer le Prix de la relève Simone B. Roy. Simone Benoît Roy (1929–2017) est une figure emblématique de la reliure d’art au Québec. Originaire de la ville de Québec, pionnière dans ce domaine, elle a consacré sa vie à l’art du livre. À sa mort en 2017, elle a légué une somme importante à l’AQRAL, permettant la création du Fonds Simone Benoît Roy.
Le travail délicat et inspirée de Catherine Savignac sur le papier ne cesse d’émerveiller. Cette distinction lui permettra de poursuivre son perfectionnement auprès de Lucie Lapierre, grande spécialiste des techniques traditionnelles de papier marbré. Ce lien entre générations d’artisanes du livre, entre pratiques traditionnelles et réinventions, est au cœur de ce que célèbre l’AQRAL.


Un moment de partage personnel
J’ai profité de l’occasion pour présenter quelques créations qui me tiennent à cœur, conçues dans cet esprit de filiation.
D’abord, mon « livre des mères », un leporello (ou concertina), que j’ai imaginé en hommage aux femmes qui m’ont précédée, issues de Marie Anne Richard, fille du Roy, et donc, à partir d’une généalogie matrilinéaire. Offert récemment à mes proches, lors de la fête des mères, ce livre frise, comme on l’appelle également, évoque un héritage fragmenté, inscrit en creux dans la mémoire familiale. C’est aussi une réappropriation féministe de la forme accordéon, en clin d’œil à Leporello, le valet de Don Giovanni, qui présentait la liste des conquêtes de son maître : ici, ce sont les noms, les traces des femmes de ma lignée qui s’y déploient, déplient, dans un mouvement inversé, réparateur et poétique, mais révélateur aussi de l’ascendance coloniale.
Il a été réalisé avec un très beau papier signé Lucie Lapierre, dont la qualité artisanale confère une présence forte et une densité matérielle à cette quête intime.



J’ai également présenté un second leporello, d’une grande simplicité formelle, mais rehaussé par un papier somptueux signé Catherine Savignac. Il suggère une mise en valeur de ce dialogue sensible entre les mains, les fibres et la narration que l’on déplie lentement, page après page.

Enfin, j’ai aussi montré quelques-uns de mes carnets de voyage, créés à l’atelier de reliure de Catherine Gaumerd, un espace vibrant de création, de réflexion et de transmission. Mes carnets constituent une réinterprétation personnelle de certaines œuvres de Florent Rousseau, relieur et décorateur du livre français, reconnu pour son approche innovante de la reliure et sa production pédagogique.




Une pratique habitée et collective
Nous avons profité d’un moment de partage joyeux, où les techniques anciennes croisent les expressions plus neuves, et où le livre devient à la fois support, sculpture, archive et expérience. Un rappel aussi que le livre, au-delà de la technologie et du contenu, est un objet sensible, façonné avec soin, investi, transmis. Et, une œuvre en soi.
Merci à l’AQRAL pour cette belle initiative, et longue vie à ces pratiques artisanales qui font du livre un terrain d’exploration toujours renouvelé.

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